Le 2 décembre dernier, Xavier-Antoine Lalande, conseiller municipal indépendant de Saint-Colomban, dans les Laurentides, recevait le prix « Personnalité élue » 2016 de la Ligue d’action civique du Québec. Entrevue exclusive avec un homme dont l’intégrité est le fer de lance de son action politique.

Vous avez 34 ans et êtes père de deux enfants. Qu’est-ce qui vous a conduit en politique?

J’ai un bac en sciences politiques. À la base, j’étais chroniqueur politique. Mais les jobs de journaliste c’est pauvre à mourir, surtout en région. Je suis allé me former en agriculture. J’ai commencé à m’intéresser à la politique municipale parce qu’on est venu chercher de l’argent dans mon portefeuille sur une décision à laquelle la population n’avait pas été consultée. Il y avait un intérêt derrière qui était très loin de la préoccupation des citoyens. Je me suis rendu compte que le processus était vraiment vicié. J’ai mobilisé 502 personnes en deux jours. J’ai commencé à assister aux assemblées municipales. J’ai vu des abus de pouvoir, des manques de transparence incroyables, des applications de la Loi d’accès à l’information inappropriées… J’ai vu des médias qui contrôlaient l’information et qui étaient très près du pouvoir.

Comment l’expliquer?

Ce sont des journaux privés qui dépendent de la pub. Les villes ont un énorme pouvoir et amènent beaucoup d’argent aux médias. Si un journaliste dérange les colonnes du temple, il a un appel de la direction. Je le sais, j’ai fait le métier!

D’où vient ce désir ardent de changer les choses?

De 6 à 10 ans, je voyais mon père, couvreur, qui chialait contre son boss et était impuissant par rapport à sa situation. Combien d’enfants ont grandi comme ça? Un tas d’ouvriers se faisaient opprimer, ridiculiser. Ils travaillaient à la sueur de leur front et n’avaient pas de temps pour leurs enfants.

Qu’est-ce qui vous choque le plus?

Il y a une iniquité des pouvoirs jusqu’à l’intérieur des lois : La Loi sur les cités et villes, la Loi sur le traitement des élus municipaux, le Code municipal.

L’exercice sain de la politique municipale dépend de la morale du chef.

Avec le contrôle des médias, qui sont limités, avec tous les budgets donnés dans les départements de communication des villes, les citoyens n’ont même plus d’instruments de mesure pour évaluer la qualité de leurs élus. Tout est contrôlé. Et s’il y a des élus autres que le maire qui prennent la parole, c’est mal vu.

Comment faire valoir son point de vue quand on est candidat indépendant?

Le gros défi en politique, c’est qu’on se fait opposer des communiqués de presse. C’est arrivé souvent dans ma situation et c’était un souci de faire sortir la vérité. Tu te fais confronter à un communiqué bourré de propagande et d’informations orientées et le journaliste ne fait aucune recherche. Le citoyen se retrouve face à ça, moi aussi. Tu n’as aucun outil pour trancher le vrai du faux.

Vous êtes un des rares élus de votre âge en politique municipale, non ?

Les conditions salariales ne permettent pas d’en faire un travail à temps plein. Je gagne 19 000$, compte de dépenses inclus.

« À la base de ma motivation politique, il y a cet écoeurement de voir des pourris nous diriger. Je ne suis pas plus qu’un autre, je suis seulement incapable de me satisfaire du vide. À quoi tient notre société si les gens qui nous dirigent bafouent les institutions et sont libres de continuer? »

Vous relatiez qu’un professeur de l’ENAP considère que la tâche contient plus de responsabilités que le travail d’un député.

On a 60 décisions à prendre par mois minimum. Quand il faut déterminer de l’orientation du territoire pour les 30 ou 40 prochaines années, qu’il y a un projet immobilier qui a un impact sur la vie des gens, ça demande du temps. Un député a quatre employés et est payé à bon salaire. Mais la seule responsabilité d’un conseiller municipal c’est d’assister aux assemblées…

Si je veux des documents sur un sujet qui n’est pas à l’ordre du jour, je suis envoyé à la Loi d’accès à l’information. Et là, on fait face à des délais de deux ans et demi d’audience. Sur un mandat de quatre ans, c’est long.

En tant qu’élu, pouvez-vous dénoncer des dossiers litigieux?

Je le fais, mais c’est extrêmement complexe. À Saint-Colomban, la Société de gestion a acheté un building pour 1,9 M$ en 2010. Qui l’a payé? La Ville. Des élus et des employés administratifs siègent sur le conseil d’administration. Ce sont des conflits d’intérêt évidents pour moi. Quand on est président d’une société de gestion, on ne peut pas être maire en même temps. Surtout quand l’un est en relation économique avec l’autre. Des dossiers comme ça, il y en a à la pelletée au Québec.

Le ministère des Affaires municipales, c’est une farce. Il n’a aucun pouvoir de coercition. On ne fait que des recommandations. Et elles sont faites deux ans plus tard, alors que tout le monde a oublié.

Comment faire alors?

C’est éminemment complexe. Cela demande énormément de temps pour réunir l’information et les chiffres. J’ai le portrait très clair dans ma tête. Il faut l’expliquer dans un communiqué ou rencontrer les citoyens un à un. Je suis obligé de choisir des enjeux qui mobilisent les gens.

Il semble y avoir un ménage à faire.

Il y a des gens qui sont au pouvoir et qui sont capables de manipuler le budget, d’utiliser des fonds publics pour essayer de détruire des gens : des employés, des élus qui parlent.

Considérez-vous que nous sommes en démocratie?

Une fois aux quatre ans. Mais il y a tout de même des règles. J’ai remporté trois batailles. Une à la Loi d’accès à l’information contre la Ville, une au Conseil de presse vis-à-vis d’un journal qui n’avait pas respecté ses engagements et j’ai remporté mon combat à la Commission municipale du Québec. J’ai prouvé que le maire a menti. Le dossier est maintenant en Cour supérieure. En juin, il y aura jugement.

La ville voulait créer un poste en communication.

Oui. Et c’est un job politique. C’est comme un attaché politique au bureau d’un député. Dans une ville, ça crée un débalancement.

Toutes les municipalités le font.

C’est une mode! Pour moi, un conseiller en communication, c’est quelqu’un qui promeut les activités de la Ville en n’oubliant pas de détails. Mais un conseiller qui suit le maire partout, qui fait de la surveillance sur les réseaux sociaux et de la sélection d’information au profit du maire… Il suffit qu’il y en ait un qui essaie et qui ne se fasse pas taper sur les doigts pour que ce soit copié à gauche et à droite. C’est le modèle Vaillancourt.

Comment expliquer que le phénomène se soit répandu dans les municipalités?

Je ne peux pas le dire. Ce que je sais par contre, c’est que l’idée des OBNL a été réfléchie par les bureaux d’avocats qui ont trouvé des failles dans la loi. Un a été l’objet de nombreuses citations à la Commission Charbonneau. Quand on suit où cette firme d’avocats a travaillé, il y a toujours un OBNL dans la ville.

Si on veut que ça change, il faut s’organiser. Si on laisse la place aux autres, on ne peut pas se plaindre ensuite qu’on est mal représentés.

Comment agir?

Je crois beaucoup à la prise en charge de notre territoire. C’est un type de démocratie participative. J’ai débuté mon parcours avec une association citoyenne de lacs. Tu fais des rencontres. Tu vois comment les règlements environnementaux ne sont pas adaptés. Tu demandes des subventions et là, tu te rends compte que c’est tout croche. On ne peut pas demander à quelqu’un de s’impliquer au sommet des choses dès le départ.

Qu’est-ce que ça rapporte?

Les organisations locales, ça permet de se rendre compte qu’on n’est pas seuls dans nos insatisfactions. En plus, ça crée un rapport de force. Et un rapport de force, ça se construit. Ça ne se fait pas tout seul derrière son ordinateur.

On ne réinventera pas la politique. La politique, c’est l’exercice du pouvoir. On est dans un paramètre de négociation, de consensus ou de confrontation. Il ne faut pas être naïf.

Selon vous, que doit-on améliorer en politique municipale?

Les délais de la Loi d’accès à l’information et le pouvoir des maires. Je vois des élus utiliser des articles de loi complètement loufoques pour nous empêcher de consulter des documents. Ils savent très bien que si tu contestes, tu vas avoir ce que tu veux dans deux ans et demi.

Comment faire un bon débat si quelqu’un monopolise l’information?

Il faut rééquilibrer le pouvoir entre le maire et ses conseillers. Actuellement, seul le maire a droit à toutes les informations. C’est un immense pouvoir. Il a le droit de convoquer qui il veut à des rencontres de travail. Et il décide des gens qui vont siéger aux différents comités.

Comment faire pour que les gens s’intéressent davantage à la politique?

Ce qui manque en démocratie, ce sont des instruments de mesure pour vérifier l’efficacité et le travail des élus. Nous sommes sous serment mais j’ai vu mentir des élus tellement souvent! Si je veux dénoncer, il faut que je fasse une plainte à la Commission municipale du Québec. Mon dossier a pris un an et demi. Comme la personne a le droit de se défendre, ce sont les citoyens qui paient la facture. La pire conséquence, c’est six mois de suspension. On l’a vu avec le maire Vaillancourt.

Il faudra penser à une éducation citoyenne.

Oui mais ça va prendre 25 ans! La désinformation prend toute la place. Gandhi, a eu beau pousser la mobilisation pacifique et la désobéissance civile mais pendant ses 20 ans de lutte, l’empire britannique s’est emparé de l’économie.

Que penser du dossier Vaillancourt?

Il a plaidé coupable et il faut s’en réjouir mais j’aurais aimé une jurisprudence. Des liens auraient pu être faits avec d’autres villes. C’est un modèle qui a été copié. Une des grandes lois non respectée, c’est la Loi sur le lobbying. Le contrôle de l’agenda du maire est secret. Les élus vont manger avec des promoteurs aux frais des contribuables et ils n’ont pas besoin de s’expliquer. C’est du trafic d’influence.

Dans le municipal, je vois de l’argent dépensé sans même savoir ce qu’on achète. N’importe quel crétin qui a cinq piastres dans ses poches ne ferait pas ça.

Il s’agit pourtant de notre argent.

Plus les chiffres sont gros, moins on se les approprie.

Vous avez fondé votre propre parti, Ensemble Saint-Colomban.

J’ai eu des gens qui se sont engagés dès le départ. Mais c’est difficile. C’est bénévole et on travaille dans l’adversité. Les gens ont peur de dénoncer le pouvoir en place. Ils craignent des représailles. Ce n’est pas tout à fait faux mais si on est plusieurs à le faire, ça va cesser.

Que penser du projet de loi 122, qui accorde plus de pouvoir aux municipalités en les reconnaissant comme des gouvernements de proximité?

La motivation du projet de loi 122 n’est clairement pas l’intérêt d’une saine démocratie avec des pouvoirs équilibrés entre les élus, ni le souci de fournir de meilleurs outils aux citoyens afin d’aider à la compréhension de la politique municipale. C’est plutôt une réponse à des intérêts précis.

On laisse une grande place à la politique dans l’établissement du salaire des élus. Ça va limiter la liberté de parole d’élus qui auront peur que ça se répercute sur leur paye.

Ce projet nourrit la confusion entre les acteurs politiques et économiques. Comme si le Québec n’avait jamais vécu la plus sombre partie de son histoire en termes de corruption politique au cours des dernières années.