Le soleil de Tavira, à l’extrême sud du Portugal, en Algarve, est puissant. Même en janvier. Il fait dix-huit degrés à l’ombre et une brise fraîche survient du bord de la rivière Gilao. Le niveau d’eau est si bas qu’on pourrait la traverser à gué.

Les pavés polis du vieux pont romain luisent dans la lumière, tandis que quelques braves, en bottes de caoutchouc et tablier ciré, pêchent au filet de minuscules coques, délicieuses revenues à la poêle dans l’huile d’olive et l’ail. Assise tranquillement, je rêvasse à l’ombre d’un de ces orangers du petit parc riverain, dont tous les fruits accessibles ont été cueillis tandis que le reste, mûrs à point mais hors d’atteinte, semblent me narguer.

L’hiver québécois est si loin que j’en souris d’aise. Tout est plus vert dans le jardin du voisin…

Depuis quelques jours, j’ai profité de la gentillesse des locaux – dont beaucoup parlent anglais ou français – pour satisfaire ma curiosité sans limites. J’ai été choquée des conditions quotidiennes qui prévalent ici pour des dizaines de milliers de gens, comme les ont décrites les quelques personnes à qui j’ai parlé.

Dans le jargon politically correct, disons que j’ai appris des faits « troublants ».

Parfums de misère

Dans une petite boutique de Faro, à quelques kilomètres à l’ouest de Tavira, la gérante m’a expliqué que seule l’organisation en coop avait permis de regrouper les ressources à plusieurs et de survivre avec l’artisanat local.

Des comptes d’électricité exorbitants accablent les petits commerces. Pour une superficie de 50 mètres carrés, il en coûte 2 000 euros pour quatre mois de consommation en hiver. L’équivalent de presque 2 800 piastres! Et le chauffage, souvent minimal et assuré par des calorifères d’appoint, n’exempte ni la clientèle ni les employés du châle ou de la petite laine.

La propriétaire du petit resto de quartier où je vais souvent casser la croûte m’explique qu’elle ne se paye aucun salaire et que les revenus de son commerce suffisent à peine à couvrir les dépenses et les frais quotidiens pour elle, son mari et ses deux enfants.

Le panier d’épicerie, les vêtements, les commodités quotidiennes, tout est vendu à peu près au même prix qu’au Québec, dans les grandes surfaces.

Le salaire minimum oscille autour de 600 euros par mois pour un travail à temps plein, soit 839 dollars canadiens et des poussières.

Le loyer minimal pour un petit logement d’une chambre en coûte minimum la moitié plus « les charges ». Comprenez que rien n’est fourni : chauffage, éclairage, gaz, téléphone, Internet, tout est en supplément.

La pension de vieillesse minimale est de 250 euros par mois. Pas besoin d’un doctorat en finance pour comprendre que les personnes âgées ne peuvent survivre seules dans ces conditions.

Les services publics gratuits ont été réduits au minimum. Deux ans d’attente pour une consultation médicale avec un spécialiste, si vous n’avez pas les moyens de vous faire traiter en clinique privée.

Du côté de la petite enfance, une monitrice pour 25 petits de trois à cinq ans en garderie publique ou des tarifs élevés dans le secteur privé. Par ailleurs, 90 % des enfants d’âge préscolaire sont gardés à la maison. Bonne nouvelle, l’éducation est gratuite, y compris à l’université, mais les écoles n’ont que peu de ressources. Ça vous rappelle quelque chose?

En pratique, ce que tous ces chiffres veulent dire, comme me l’expliquait Humberto Correia, futur candidat à la mairie de Faro, c’est que la dette du Portugal envers l’Union européenne, exorbitante et abusive, se paye sur le dos des petites gens.

« Dites à vos lecteurs qu’ici la population est désespérée : il n’est pas rare de ne plus avoir à manger à la fin du mois et de faire appel à la Croix rouge pour les besoins primaires, même avec un travail à plein  temps… »

Je comprends maintenant pourquoi, dans le duplex voisin de chez nous, trois personnes âgées se partagent un petit trois pièces. Elles n’ont pas les moyens de faire autrement. Y compris ce charmant vieux monsieur qui, pour aboutir chez lui, doit monter le vieil escalier à pic, en béquilles. Un dénuement qui ne leur enlève nullement cette dignité et cette gentillesse naturelle qui me font du bien.

Avec un sourire qui les honore, les petites gens d’ici survivent comme elles le peuvent.

La pauvreté mondialisée

Le FMI et la Banque mondiale ont administré ici la même médecine qu’en Grèce, avec les mêmes résultats. Au pays de Moustaki, la pilule a été encore plus dure à avaler: le pays a été forcé de rabaisser son salaire minimum de 28 %.

Que Donald Trump se réjouisse. Il n’est pas seul. Son club sélect de milliardaires sans scrupules continuera en effet à sévir aussi bien en Europe qu’en Amérique, et ce, jusqu’à ce que la population du monde les remette enfin à leur place.