La Commission d’examen sur la fiscalité québécoise, présidée par le professeur de l’Université de Sherbrooke Luc Godbout, tient ses audiences cette semaine à Montréal et la semaine prochaine à Québec. Pour l’occasion, le journal Ensemble a rencontré le directeur de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC), Robert Laplante.

Ensemble : Dans votre mémoire déposé à la Commission, vous rejetez radicalement le discours d’austérité du gouvernement. Pour quelles raisons?

Robert Laplante : Nous espérons faire la démonstration que le gouvernement fait fausse route. Il nous propose un produit périmé, puisque des organisations aussi peu gauchistes que le Fonds monétaire international recommande maintenant de quitter l’itinéraire des politiques d’austérité et insistent sur la nécessité de faire des investissements étatiques pour redonner du souffle à l’économie. Même s’il est vrai que l’on peut toujours dépenser moins et dépenser mieux, il est illusoire de penser que c’est par ce type de redressement que nous allons donner un élan à l’économie québécoise.

Ensemble : Vous suggérez donc dans votre mémoire d’augmenter les revenus du gouvernement. Quelles avenues proposez-vous?

R. L. : Les entreprises ne font pas leur juste part. Le relèvement de l’impôt des entreprises serait la moindre des choses. Il faut également établir de nouveaux seuils d’imposition pour les riches dont les revenus sont au-dessus de 130 000$ par an. Ce sont des mesures qui sont applicables dès le prochain budget.

Ensemble : Avec le manque de confiance envers les institutions, pensez-vous que la population soit prête à accepter des hausses d’impôts ?

R. L. : C’est une grande victoire idéologique des néo-libéraux que d’avoir réussi à nourrir un climat de rejet de cet instrument de solidarité sociale qu’est l’impôt. Mais il ne faut pas oublier que la réponse à moins d’impôts est soit moins de services, soit plus de recours à des services privatisés. Je ne crois pas que les contribuables québécois soient prêts à renoncer au panier de services, ou encore à accepter le renforcement de la logique de privilège qui accompagne  le recours au privé.

Ensemble : Le Compte d’épargne libre d’impôt (CELI) est également un point sur lequel vous insistez dans votre rapport. Pourquoi?

R. L. : Au moment où nous constatons que le gouvernement manque de revenus, la création de comptes d’épargne libres d’impôt, c’est prendre la direction opposée de celle que l’on doit prendre.  Le gouvernement du Québec s’est aligné sur l’initiative fédérale, mais cela coûte cher en impôts non perçus. Au bout de 10 ans, ça risque de coûter 500 M$ par année au gouvernement. C’est immense comme sacrifice.

Ensemble : Dans le mémoire de l’IRÉC, il est également question des transferts fédéraux. Des points d’imposition pourraient être gagnés selon vous pour améliorer le sort du Québec ?

R. L. : Cela pourrait être la récupération de la Taxe sur les produits et services (TPS) par exemple, qui donnerait des moyens substantiels. Cela permettrait de construire une fiscalité plus cohérente. Les décisions d’Ottawa ne trouvent pas nécessairement leur complément dans celles du gouvernement du Québec. Notamment en matière d’écofiscalité.

Ensemble : Qu’entendez-vous par écofiscalité?

R. L. : C’est le recours  à l’impôt et aux taxes pour relever ce qui est le défi de toutes les économies contemporaines, c’est-à-dire une réponse à la crise climatique. L’écofiscalité, c’est le financement des efforts requis pour réduire notre bilan carbone et changer éventuellement de base énergétique.

Ensemble : Il existe déjà des mesures fiscales pour encourager des comportements plus sains pour l’environnement comme des taxes sur l’essence. Que faudrait-il faire de plus?

R. L. : Il n’y a pas une voie royale. Il y a un ensemble de mesures cohérentes à mettre en place.  Actuellement, il est très difficile d’évaluer l’efficacité des différentes mesures car elles sont dispersées.

Ensemble : Votre mémoire tourne autour de grands enjeux et ne présente pas de mesures ou de chiffres précis. Pourquoi avoir fait ce choix?

R. L. : Ce débat n’est pas d’abord technique, il est fondamentalement politique. Ça nous renvoie à nos choix de société. Les recommandations techniques sont de l’ordre des moyens et des outils. On peut avoir des préférences pour des outils, mais on les choisit en fonction des fins que l’on poursuit.