Une fois par semaine, je prends l’autobus de Val-David vers Saint-Jérôme, puis le train pour Montréal. À d’autres le cauchemar du déneigement, du station-nement et surtout, Dieu m’en garde, la conduite dans les bouchons de circulation qui font l’ordinaire de l’autoroute des Laurentides.

 

La plupart du temps, je profite du voyage pour me reposer en paix. Si je précise en disant « la plupart du temps », c’est qu’il y a, évidemment, de malheureuses exceptions. Prenez par exemple en cette fin d’après-midi de janvier, lors du trajet de retour vers Val-David.

À la gare d’autobus de Saint-Jérôme, nous sommes à peine une dizaine de passagers. Je me prépare donc, tranquillement, à piquer un petit somme : c’est sans compter l’arrêt au cégep où attendent, en groupe compact et agité, au moins une trentaine d’étudiants à la sortie de leurs cours de fin de session.

Je ne suis pas l’une de ces petites vieilles acariâtres qui ont renié leur jeunesse. Du moins pas encore.

Cela dit, je ne garantis rien, depuis qu’une étudiante s’est installée à mes côtés dans l’autobus sans même daigner me sourire ou me dire bonjour : existe-t-on encore à soixante ans ?

Elle a, cela va de soi, d’autres préoccupations bien plus importantes, concrétisées sous la forme d’un téléphone cellulaire rose fluo qu’elle agrippe au plus vite pour pitonner un texto. L’intimité lui importe peu et je vois très bien son écran où je lis, estomaquée :

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« cé cool j’me su t’acheter une couleur pour les cheveu genre bleu violette pi chu sur instagram lol. »

Il ne me reste plus qu’à tourner la tête vers la fenêtre pour oublier ce désolant outrage à la langue française et… une improbable chevelure lilas.

Dans un demi-sommeil, je pense à l’heure passée ce matin devant l’ordinateur, sur Facebook, que j’ai fini par utiliser moi aussi puisque c’est maintenant la seule façon d’entrer en contact avec certains de mes proches qui boudent le courriel déjà démodé, semble-t-il.

J’ai le vertige en pensant à ces millions de personnes qui, en plus de Facebook et du cellulaire, ont choisi Instagram, Twitter, Pinterest et d’autres plateformes du même acabit.

Mais qui donc profite de la multiplication de ces outils de communication? Ne venez pas me dire que c’est vous. Dépenser plusieurs heures par jour à lire les dizaines de messages qui vous sont envoyés quotidiennement et à y répondre, ça vous comble? Impossible. À moins, évidemment, que vous ne puissiez vous passer de l’opinion de Denis Coderre sur la performance des Canadiens de Montréal ou de la description de la plus récente robe de gala de Céline Dion.

Vous le savez bien, la plupart de ces messages n’ont aucun intérêt : vos boîtes de courriel ne débordent pas de spams pour rien.

Être disponible jour et nuit, vous faire déranger quand vous étiez endormi sur le divan ou en train de manger, de prendre une douche, ça vous fait plaisir ?

Pour ma part, j’éteins souvent la sonnerie du téléphone; je choisis à qui je parle, et quand. Vous vous en doutez, je conserve un de ces vieux téléphones fixes. Je suis du Néandertal? Parfaitement! Et je m’en porte très bien, n’en déplaise aux marchands qui profitent allègrement de cette prolifération de médias sociaux et de leur publicité criarde et omniprésente.

Vous cherchez à savoir si le chaton de la voisine va mieux aujourd’hui? Vous vous taperez une publicité de bouffe à chats en prime. Et ciblée avec ça; vous vous êtes déjà chargé gratuitement de leur donner tous les renseignements dont les agences de marketing ont besoin pour leur enquête de marché.

Avons-nous oublié le bonheur de rêvasser dans la balançoire du jardin, de marcher tranquillement au parc, de souper en tête-à-tête sans être dérangés, de rêver devant un feu de foyer, d’observer les oiseaux dans l’érable à la fenêtre du salon?

La satisfaction tranquille d’écouter la pluie marteler la toiture et le vent siffler dans les arbres. Le soulagement du silence enfin retrouvé. Le plaisir de lire sous la douillette avec un bon café, sans être interrompus. J’ose espérer que non.

Et, rassurez-vous, vous ne connaîtrez jamais la couleur de ma brosse à dents : je ne l’afficherai pas sur Facebook.

Je sais que cela ne vous intéresse pas.