« Gnofar », disent les Sénégalais et Sénégalaises plusieurs fois par jour dans toutes sortes de contextes. « On est ensemble. » Un mot wolof tout simple qui en dit long sur l’intégration du mot solidarité dans leur esprit et leur conception de la vie. L’interdépendance des êtres humains dans leur volonté de vivre libres et heureux est profondément ancrée en eux, dans chacune de leurs paroles, mais surtout dans chacun de leurs gestes.

C’est ce pays de l’Afrique de l’Ouest, où manger et trouver du travail restent des préoccupations quotidiennes, qui accueillait la onzième édition du Forum social mondial (FSM) en février dernier. Lieu d’échanges et de réflexion créé il y a dix ans à Porto Alegre, au Brésil, le FSM réunit des dizaines de milliers d’altermondialistes de la planète qui ont d’autres projets de société à proposer, en réponse au Sommet économique mondial qui se tient chaque année à Davos.

Un mouvement qui se construit

À l’issue de cette onzième édition, les déclarations finales des assemblées de convergence pour l’action ont surtout donné lieu à des revendications pour le respect de certains droits (droit à l’information, éducation, habitat sain, libre-circulation) ou à des dénonciations, plutôt qu’à ce que nous faisons ou devons faire pour remédier à tous les maux créés par le système capitaliste.

Moustapha Diop, directeur de l’action éducative en milieu ouvert (AEMO) à Saint-Louis au Sénégal, croit que nous faisons encore face à un mouvement qui se construit. « Je ne pense pas que nous sommes en train de faire le point avec cette onzième édition. Nous sommes encore à tirer des constats sur ce qui ne marche pas, à identifier les coupables. Mais nous sommes aussi les coupables ! Nous devons donc mettre en marche la machine, les idées. On doit tous se mettre en mouvement pour dire : voilà où nous étions, mais voilà ce que nous avons fait. On doit dépasser l’étape des plaintes et des complaintes. Au-delà des constats, on doit être capable sur le terrain de bâtir nos édifices, cela est fondamental pour construire la société plurielle et intégratrice pour laquelle nous militons, cette société qui permet à chacun et chacune d’être un sujet historique dans les processus de construction de ces autres mondes que nous voulons. Et ça, ce n’est pas un rêve, ce sont des possibilités à notre portée. »

Revoir la coopération internationale

Entre les organisations internationales de paysans, syndicats, femmes coopératives, écologistes, présentes au Forum se retrouvent aussi les petites et grandes organisations non-gouvernementales (ONG) de coopération internationale. Le Forum offre un espace égalitaire de rencontre entre le Sud et le Nord, contrairement aux habituelles rencontres de suivis de projets ou de planification stratégique où, malgré tout le respect qui pourrait s’y trouver, le partenaire du Sud se voit bien souvent placé en situation d’infériorité par sa dépendance économique.

Lors d’un atelier sur l’avenir de la coopération, les acteurs du Sud en avait long à dire sur cette relation de subordination et de dépendance avec leurs partenaires du Nord. « Nous pouvons vous citer tous les besoins que vous voulez entendre, c’est ce qu’on nous demande depuis 50 ans, mais ce dont on a réellement besoin, c’est l’écoute, la communication, le respect de notre langage, puisqu’on doit toujours adopter le vôtre, et surtout d’être respecté dans nos rythmes. Nous sommes tous devenus des opérateurs au service des grandes ONG. Nous mettons à exécution le projet du coopérateur. Ceux qui savent faire des cadres logiques et des planifications stratégiques, ils ont du financement, ceux qui ont des idées dans la tête, ils n’ont rien », explique Joséphine Ouédrago, d’Enda Tiers-Monde.

Les divers intervenants présents l’affirment haut et fort, la coopération étatique continue encore et toujours à servir ses propres intérêts politiques. À titre d’exemple, Mamadou Goïta, de l’Institut de recherche et de promotion des alternatives en développement du Mali a fait le bilan de la contribution de l’ACDI de 1992 à 2003 dans son pays. Il a révisé les projets un à un, et 30 % n’existaient nulle part. L’investissement dans les projets atteint un peu moins de six milliards de francs CFA sur dix ans.

L’enjeu des ressources naturelles

Pendant ce temps, les entreprises extractives canadiennes présentes au Mali, dont quelques-unes ont reçu des appuis financiers de l’ACDI, retirent en moyenne 98 milliards de francs CFA par année, en plus d’exonérations de taxes pour trois à cinq ans suivant leur établissement dans le pays. L’État malien pourrait-il réclamer davantage ? Selon M. Goïta, la réponse est négative. La Banque mondiale, largement contrôlée par les pays riches, ne permet pas aux autorités publiques du Mali de réclamer plus de 20 % en redevances aux minières, afin de stimuler l’investissement.

Le Mali croule sous sa dette publique, incapable de répondre aux besoins de sa population, alors que des redevances de 40 % sur l’industrie extractive dans le pays lui permettraient de se passer de l’aide extérieure et d’envisager des projets de développement durable pour la population. « Ce n’est pas au Canada, ni à l’Europe, de construire nos puits, nos écoles et nos hôpitaux, nous en avons véritablement marre du misérabilisme. C’est nous qui finançons le développement économique du Canada, pas le contraire, ne vous laissez pas leurrer », s’indigne Mamadou Goïta.