Le milieu agricole attendait le Livre Vert publié le 7 juin dernier par le Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) depuis un certain temps. Trois ans après le dépôt du rapport Pronovost issu de la Commission sur l’avenir de l’agriculture, l’ensemble des acteurs de l’agroalimentaire québécois s’attendait à y retrouver un ensemble de pistes d’action qui contribuerait à débloquer la situation de ce secteur en crise. Plusieurs ont été déçus.

Pour fondamental qu’il puisse être, l’enjeu de l’agriculture connaît peu de résonance médiatique au Québec, sinon qu’en ce qui touche à ses aspects les plus criants : fermetures et faillites d’un nombre croissant de fermes, isolement, détresse psychologique et même suicide chez les producteurs, etc. Ces différents problèmes, bien réels, ne sont cependant que la pointe de l’iceberg d’une problématique beaucoup plus profonde.

Ainsi, pour Claire Bolduc, présidente de Solidarité rurale du Québec, le fond du problème réside dans la perception qu’on a développé de l’agriculture. « On en a fait une activité strictement économique alors que c’est une activité socio-économique dont les implications sont fondamentales pour une société. L’agriculture, ça relève de choix sociaux et même d’une culture sociale puisque l’alimentation reflète ce qu’on est, l’héritage culturel qui est le nôtre et les spécificités de notre territoire. C’est aussi, justement, une question d’occupation du territoire puisque 95 % du territoire habité du Québec a une vocation agricole. Manger, c’est un besoin fondamental, si on dépend de l’extérieur pour ça, on n’a plus aucune prise sur notre société. »

La stratégie du Livre Vert

La stratégie mise de l’avant par le Livre Vert du MAPAQ est d’abord centrée sur la valorisation des produits québécois. L’objectif est de mettre en valeur les caractéristiques distinctives de ces produits, d’en assurer la qualité et d’en valoriser la mise en marché. Le MAPAQ mise également sur le renforcement de la capacité concurrentielle du secteur agroalimentaire québécois, de même que sur la valorisation de l’environnement et du territoire du Québec.

Ces orientations, sans aller à l’encontre des recommandations du rapport Pronovost, apparaissent cependant assez vagues en regard de l’analyse détaillée et sans complaisance qui était issue de la Commission sur l’avenir de l’agriculture. De fait, le Livre Vert ne constitue pas un énoncé de politique, mais plutôt un document préparatoire à une consultation devant se tenir à l’automne, la conclusion du document évoquant à cet égard 16 questions devant orienter les discussions des intervenants.

Le temps des décisions et de l’action

Certains, notamment l’Union des producteurs agricoles (UPA) qui s’était montrée critique à l’endroit de certaines conclusions du rapport, y voient un processus de consultation intéressant. Pour autant que la valorisation proposée des produits agricoles ne passe pas devant les producteurs eux-mêmes, de dire Patrice Juneau, conseiller aux affaires publiques de l’organisme. D’un côté, l’UPA voit d’un bon œil l’intégration dans le Livre Vert d’enjeux qu’elle avait elle-même soulevés, comme « l’importance de distinguer les produits alimentaires québécois, l’appui à la relève et à la mise en œuvre de plans de développement sectoriels ». D’autre part, plusieurs interrogations subsistent aux yeux de l’UPA, notamment quant au modèle d’agriculture que le gouvernement entend favoriser. De récentes décisions relatives aux programmes d’aide aux producteurs ouvrent en effet la porte à une agriculture à deux vitesses, « soit l’agro-industrie et les méga-fermes d’un côté et l’agriculture de loisir de l’autre ».

Pour plusieurs autres intervenants, comme Roméo Bouchard, fondateur et ancien président de l’Union paysanne et également instigateur de la coalition SOS Pronovost, il s’agit cependant d’un retour en arrière, ces questions ayant déjà été traitées dans le rapport en 2008. Selon Roméo Bouchard, le rapport Pronovost s’était attelé à repenser le modèle de l’agriculture québécoise, qui est dans une impasse, et c’est justement cette dimension fondamentale qui semble avoir été écartée du Livre Vert. « Si on maintient ce modèle-là, ce qu’il reste d’agriculteurs indépendants vont être avalés par les grands intégrateurs », rendant presque impossible l’émergence d’une agriculture plus diversifiée. Ainsi, c’est le modèle de financement qui doit être revu pour permettre aux producteurs indépendants et biologiques de survivre, les subventions à la pièce n’étant pas suffisantes pour avoir un effet structurant auprès de ces producteurs, alors que les grands producteurs (environ 15 % de l’ensemble) reçoivent actuellement de 80 % à 85 % du total des subventions.

Or, aux dires de plusieurs, cette situation est intenable et il y a urgence en la demeure. Comme le fait remarquer Claire Bolduc, « on n’en peut plus des consultations, on a besoin de directions claires, d’avoir des outils concrets pour avancer. Ils ont les bonnes directions, il faut maintenant qu’ils prennent des décisions. Ça prend de la volonté et du courage pour aller vers ça, mais c’est justement ce qui semble faire défaut au gouvernement. »