La rareté des denrées alimentaires mondiales ne serait-elle qu’un mythe ? Lors d’une conférence prononcée à la Maison du développement durable, le 20 octobre dernier à Montréal, l’écosociologue Laure Waridel a interpellé son audience en affirmant que « l’humanité n’a pas besoin de plus de nourriture, elle a besoin de plus de justice ». La chercheure en sciences sociales de renommée internationale s’est basée sur des résultats récents de recherches scientifiques pour mettre en évidence l’impact que la financiarisation excessive de l’économie a sur l’accès des populations les plus démunies aux ressources alimentaires.

Invitant à une réflexion collective sur les modes de fonctionnement de notre société, Laure Waridel plaide pour une refonte profonde de notre système économique. Mais pourquoi exactement devrait-t-on repenser notre système économique ?

Ensemble dans une triple crise

Selon la conférencière, nous vivons actuellement une triple crise marquée par des troubles climatiques, financiers et sociaux qui ont tous en commun d’être exacerbés par les excès de notre système financier. Laure Waridel considère que ces crises sont les symptômes de l’échec du modèle économique actuel. Ce constat serait désormais partagé par de plus en plus de personnes influentes à travers le monde, même parmi celles qu’on associe traditionnellement à ce modèle.

Vidéo : Lors de la journée «On change de modèle», organisée par le Groupe d’économie sociale du Québec (GESQ) dans le cadre du Forum international de l’économie sociale et solidaire (FIESS) 2011, le journal Ensemble a recueilli des commentaires de Laure Waridel, Réjean Lantagne, Christine Gingras, Léopold Beaulieu et Lionel Fleuristin sur le changement nécessaire et les moyens pour y arriver.

Qu’est ce qui ne fonctionne pas dans le système actuel ? En quelques mots, la chercheure explique, par exemple, que pour la vente d’une tonne de céréales, il se fait aujourd’hui une quarantaine de transactions financières alors qu’il n’y a eu qu’une seule transaction commerciale réelle. Il se développe donc une économie financière en marge de l’économie réelle.

D’une façon générale, c’est tout le modèle de croissance traditionnel qui est à revoir car « il ne tient pas compte des limites des écosystèmes ni de celles des individus ». Selon Mme Waridel, ce type de discours qui, il y a quelques années, était seulement l’apanage des écolos et des altermondialistes atteint maintenant « un spectre idéologique plus vaste ».

Les catastrophes naturelles, la perte de la biodiversité, le déclin des abeilles et la pollution chimique ont été mentionnés dans sa présentation mais c’est surtout au modèle financier que Laure Waridel a consacré l’essentiel de son temps car, selon elle, « c’est la pauvreté qui tue le plus de gens dans ce monde ».

A l’idée que nous devons produire plus pour nourrir une population mondiale en forte croissance, l’auteure de Acheter, c’est voter répond que nous produisons actuellement assez de nourriture pour nourrir le double de la population mondiale mais que nous gaspillons près de la moitié de ce que nous produisons. Le problème ne serait donc pas la disponibilité de quantités suffisantes de ressources alimentaires, mais bien la financiarisation abusive de ces ressources qui a pour conséquence la flambée des prix et un accès réduit de la grande majorité à ces denrées alimentaires dont la rareté n’est parfois décidée que par des spéculations financières.

Laure Waridel appelle chacun à agir en utilisant les nombreux outils déjà à sa disposition, en dénonçant les injustices ou à travers un constant engagement citoyen.

Visages régionaux du Québec

Lors de cette conférence, intitulée Une économie transformée par une citoyenneté engagée, Laure Waridel était assistée de Marie-Ève Arbour, récipiendaire de la bourse Laure Waridel en 2010. La récente lauréate a pu présenter quelques résultats de son projet V.I.S.A.G.E.S., dont l’acronyme signifie Visages impliqués solidairement dans des alternatives de gestion écologiques et sociales. Un projet à la fois, Marie-Ève Arbour a fait le tour du Québec pour rencontrer et filmer des gens ordinaires qui se démarquent par leurs initiatives exceptionnelles : « Je sais qu’on dit qu’au Québec on n’est pas des gros sorteux de manifestations etc., mais il y a belles initiatives qui se font partout dans la province et elles méritent d’être soulignées ! »

Le projet de Mme Arbour permet désormais à chacun d’entre nous de rencontrer des dizaines de personnages québécois impliqués dans la société grâce à des vidéos qui les présentent et racontent leurs histoires. Selon Marie-Ève, cette initiative, qui n’aurait pas pu naître sans le soutien financier de la bourse Laure Waridel, a le potentiel de devenir un projet à long terme qui permettra de valoriser les initiatives alternatives au Québec.

V.I.S.A.G.E.S. est désormais un organisme à but non lucratif qui espère déconstruire les préjugés sur les projets alternatifs et offrir une source d’inspiration, permettre du réseautage et de l’échange d’informations pour finalement être une fenêtre donnant un aperçu sur la mouvance alternative des régions. Les citoyens peuvent faire connaître leurs projets, ceux de leurs proches ou visionner les résultats de la tournée régionale de Marie-ève Arbour en se rendant à l’adresse www.visagesregionaux.org