Pourtant nombreuses derrière les platines, les DJs de sexe féminin demeurent trop souvent dans l’ombre, au Québec comme en Europe, continent où le terreau du « DJing » est encore plus fertile. Heureusement, la situation tend à s’améliorer de part et d’autre de l’Atlantique. 

Deadlift, Misstress Barbara, Bambii, Chloë, Cassandria Daiva, Dopamyne, Frankie Teardrop, TIZI, Miss Mee… À voir la programmation 2016 du festival Piknic Eletronik de Montréal, les femmes DJs rayonnent sur la scène québécoise. Mais l’événement semble être le seul du genre à vouloir proposer un panel mixte. « Contrairement à d’autres, l’organisation fait un travail formidable pour mettre des filles du coin », remarque Deadlift, qui y a fait un set fin septembre.

Sensibilisée à ce sujet, cette dernière a co-organisé le « Discwoman » à Montréal en 2015, soirées originaires de New-York qui mettent en avant les DJs féminines. Il y en aurait autour de 10 à 15 % à Québec et Montréal, estime Duane Boisclair, lui-même disc-jockey. Ce dernier est l’une des têtes pensantes de Décibels Franco, coopérative créée il y a quatre ans et essentiellement destinée à des animations dans une ville ou l’autre.

L’électro en manque de femmes

En 2014, il n’y avait que 10,8 % de femmes en tête d’affiches des festivals de musique électronique dans le monde.

Cette donnée a été mesurée par female:pressure, un réseau international de femmes qui oeuvrent dans ce domaine musical. « Ce n’est pas une étude scientifique », tient à préciser la fondatrice Susanne Kirchmayr, alias Electric Indigo. Mais cette mesure sert de base de référence pour connaître la place qu’occupe les artistes féminines dans ce secteur d’activité et faire en sorte de leur donner davantage de visibilité.

Electric Indigo créait ce réseau en 1998 pour montrer que les filles ne sont pas si rares dans le milieu. En novembre 2016, female:pressure dénombrait près de 1900 membres issues de 69 pays différents. Alors pourquoi si peu de représentation ?

« Les programmateurs répondent qu’ils ne font ni attention au genre, ni à la couleur de peau, mais plutôt aux qualités artistiques. Ça, c’est l’argument ultime, rétorque-t-elle. Or, nous sommes toutes et tous influencés par ce qui nous entoure! »

Les hommes DJs blancs, entre 25 et 35 ans, étant les plus représentés dans les médias, cela se ressent dans les choix artistiques.

Les femmes, même en faible nombre, ont pourtant toujours fait partie de ce mouvement musical né aux États-Unis dans les années 80. « C’est comme dans le punk-rock et le hip-hop, les efforts réalisés par les femmes dans le domaine des musiques électroniques n’ont pas été documentés », note l’universitaire Rebekah Farrugia dans son livre Beyond the Dance Floor: Female DJs, Technology and Electronic Dance Music Culture, paru en 2012.

Le genre en question

En plus de son site, Female:pressure a souhaité créer un festival appelé Perspectives, pour faire connaître ces nombreuses artistes. Chra, DJ basée à Vienne, a joué dans la première édition qui a eu lieu en 2013 à Berlin. « C’était un très bon festival, je m’y suis fait des amies, dont notamment Sonae. Je vais jouer dans sa ville dans deux semaines », s’enthousiasme la jeune femme talentueuse. Membre de plusieurs groupes de musique, la DJ a fondé le label « queer féministe » comfortzone et figure comme présentatrice d’émissions de télévision et de radio locales.

Faire partie d’un réseau de soutien, quel qu’il soit, est essentiel pour se faire connaître et évoluer, estime Chra. Toutefois, la DJ fait pas partie de female:pressure mais elle refuse d’être estampillée comme  « artiste féminine ».

« Je suis femme et féministe mais je ne veux pas que ma musique le soit. On ne marque pas « musique d’hommes blancs! », rigole Chra. On met cela en avant uniquement pour les minorités. »

Misstress Barbara, qui vit à Montréal et tourne depuis vingt ans partout dans le monde, n’aime pas non plus être réduite à son genre : « Le fait d’être une femme ne devrait pas être différent. »

Vers une amélioration

S’improviser DJ est plus facile que jamais. Plus besoin de savoir mixer avec les vinyles, un ordinateur suffit. De plus en plus de monde peut donc devenir artiste électro et c’est ce qui explique le manque de visibilité, d’après Misstress Barbara : « Il y a autant d’hommes que de femmes qui ne sont pas connus et qui mériteraient de l’être. Le problème est que trop de monde se prennent pour des DJs. »

Selon les principales intervenantes, la situation va dans le bon sens, que ce soit au Québec ou en Europe. Pour les femmes blanches du moins, car pour celles qui sont racisées ou transgenres, le chemin de la réussite risque d’être beaucoup plus long.