Dans un contexte de crise des médias, de nouvelles initiatives à Montréal et Québec comblent le manque d’informations locales en utilisant le web pour couvrir la vie de leur quartier. Et si le choix de la communauté locale était ce dont avait besoin le journalisme pour prospérer ?

Acteurs de la table ronde du 17 novembre

Crédit photo : Marine Gaillard

Mardi, 17 novembre, s’est tenue à Montréal une table ronde sur le thème du renouveau des médias locaux, organisée par l’AJIQ, Association des journalistes indépendants du Québec. Étaient représentés quatre hyperlocaux montréalais: RueMasson.com, Pamplemousse Mercier-Est et Plateau, Quartier Hochelaga et journaldesvoisins.com pour le quartier Ahuntsic-Cartierville. Les journalistes fondateurs ont abordé leurs défis et leurs façons de se démarquer.

Atteindre son public

Le premier défi est de se faire connaître auprès du public et de changer ses habitudes de lecture. Les médias hyperlocaux existent seulement depuis quelques années (RueMasson.com, le plus ancien, a été fondé en 2010) et le processus prend du temps: publicité, distribution de cartes postales, installation de kiosques lors d’événements communautaires… Mais c’est surtout à travers les médias sociaux que la communication donne des résultats. Stéphane Desjardins, de Pamplemousse Plateau, estime que 60% de son trafic passe par Facebook.

Intéresser le lecteur

Il s’agit de trouver un équilibre entre rentabilité en terme de visibilité, et plaisir du journaliste à écrire: «on veut que le produit soit lu», affirme Marie-Eve Cloutier, de Pamplemousse Mercier-Est.

Il est primordial pour le journaliste de savoir à qui il s’adresse. «Le succès populaire passe par le fait que le journaliste est capable de dire aux gens ce qui se passe chez eux, et de traduire à l’échelle locale les impacts des décisions nationales», souligne Stéphanie Lalut, de RueMasson.com. Cibler son lectorat passe par des sondages qui donnent des données sur son âge, son statut socioéconomique, ou permettent de savoir sur quel support le média est lu: web, applications, médias sociaux, ou support papier pour le journaldesvoisins.com.

Stéphane Desjardins précise que bien souvent, ce sont les nouveautés économiques et commerciales locales qui déclenchent le plus de clics, par exemple les ouvertures de commerces, bars, restaurants dans le quartier. Il se souvient de l’annonce de l’ouverture d’un Canadian Tire ayant suscité 9000 clics en 24 heures. «Ce ne sont pas toujours les articles que j’ai préféré écrire qui attirent le plus l’attention, mais il faut aussi prendre en compte ce type d’informations, qui fait pleinement partie de la vie de quartier et intéresse la communauté».

Enfin, le succès des médias hyperlocaux passe par la relation personnalisée entre le journaliste et son public. Stéphanie Lalut précise: «on aime les quartiers dans lesquels on vit et écrit». Le public devient un interlocuteur et parfois même une source d’information. Échanger et publier sur internet permet aussi de corriger ses éventuelles erreurs et de remercier immédiatement le lecteur de l’avoir signalée, gage d’humilité apprécié.

Rester indépendant pour communiquer l’information juste

L’indépendance permet de faire du journalisme de qualité. Mais en écrivant sur son quartier, on se retrouve face au syndrome de la «petite ville», selon Marie-Eve Cloutier. «Il y a des jeux de pouvoir, tout le monde se connaît, ce qui a des avantages mais peut aussi créer des tensions». Avant de retirer un article du média, il faut savoir si la demande relève d’une simple intimidation ou d’un réel problème légal. Stéphane Desjardins complète: «À chaque controverse, nous recevons jusqu’à 40 messages via Facebook, où nous devons expliquer que nous sommes des journalistes indépendants. Ça pourrait dégénérer, mais il faut toujours garder en tête le droit du public à l’information».

Monsieur Desjardins ajoute: «Trop de médias se sont travestis. L’indépendance, c’est mon brand. Si je reçois un article commandité, j’insiste pour avoir le dernier mot, sinon je ne passe pas l’article». C’est un gage de crédibilité et de respect de la confiance du lectorat.

En conclusion, les médias hyperlocaux tendent à niveler par le haut la qualité de l’information malgré des petits moyens. Ils sont un complément aux médias traditionnels, dont ils ne subissent pas la concurrence, selon Arnaud Stopa de Quartier Hochelaga. En effet, même si les gens ont moins le temps de lire, les médias hyperlocaux intéressent le lecteur en apportant une information différente, de proximité, et une réelle culture web. Prochain défi: organiser des relations fortes avec des commerçants locaux pour des publicités liées au quartier qui financeraient les médias, et créer ainsi un nouveau modèle.

Et Stéphane Desjardins de conclure: «Notre heure de gloire s’en vient».