Sorel-Tracy — «Le monorail à grande vitesse est un projet d’envergure mondiale», s’est exclamé Bernard Landry, à l’occasion d’une conférence prononcée le 19 février dernier, à l’invitation de la Chambre de commerce et d’industrie Sorel-Tracy métropolitain (CCISTM). L’ex-premier ministre du Québec s’exprimait en tant que membre d’un nouveau groupe promoteur du projet de monorail, MGV Québec. Présidé par Dominique Bouchard, ex-président de Rio Tinto Fer et Titane à Sorel, cet organisme à but non lucratif (OBNL) souhaite que le projet de monorail relance l’économie de la région, avec le soutien des élus locaux. Mais il n’a pas d’entente avec TrensQuébec, qui fait la promotion du projet avec son inventeur Pierre Couture depuis plusieurs années.

En novembre dernier, le gouvernement du Québec a annoncé sa Stratégie d’électrification des transports, qui prévoit confier à une «firme externe indépendante» une étude préliminaire sur le projet de monorail à grande vitesse (MGV), suivie d’une étude de préfaisabilité. Ces études permettront de «déterminer la possibilité ou non de s’engager dans un tel projet», précise le document de la Stratégie, qui attribue 200000$ à la première étude. Le gouvernement est actuellement en train d’évaluer plus précisément le budget nécessaire et d’établir le cahier de charges, indique Daniel Breton, adjoint parlementaire à la première ministre pour le volet électrification des transports.

Firme externe indépendante

«On sait que le gouvernement veut aller en appel d’offres pour réaliser ces études-là, et on s’est associé à différents acteurs majeurs pour pouvoir être crédibles», souligne Dominique Bouchard, président du conseil d’administration de MGV Québec, qui souhaite réaliser à la fois les études de faisabilité et le projet lui-même. Or, cette intention placerait le groupe en conflit d’intérêts, selon Daniel Breton: «un promoteur qui fait une étude, je vois difficilement comment il peut être indépendant».

Une étude très précise a déjà été publiée en 2011 par l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC), fruit notamment du travail de Pierre Langlois, physicien, consultant en mobilité durable et auteur de Rouler sans pétrole, qui a multiplié les conférences sur le monorail à la suite de la publication de l’étude. Selon lui, le moteur-roue est essentiel au fonctionnement d’un MGV performant, deux inventions du physicien Pierre Couture. Le projet a pris le nom de TrensQuébec, sous la gouverne de Jean-Paul Marchand, ancien député fédéral, qui a investi temps et argent dans des outils de communication.

«On a rencontré les gens de TrensQuébec, et M. Couture également, confie M. Bouchard, de MGV Québec. Malheureusement, on n’a pas été capable de trouver de terrain d’entente avec eux.» De son côté, Pierre Couture confirme que ce groupe n’a pas son appui: «Je n’ai pas d’entente avec eux.» L’inventeur semble redoubler de prudence depuis que son projet de groupe de traction automobile à moteur-roue, développé chez Hydro-Québec en 1994, a trouvé une fin abrupte et inexpliquée.

Vingt ans de retard

C’est une filiale de l’Institut de recherche d’Hydro-Québec (IREQ), Technologie M4 («technologie de moteur aux quatre roues», devenue TM4 en 1998), qui développait alors le groupe de traction sous la direction de Pierre Couture. La direction de l’entreprise a brusquement décidé, en 1995, de limiter les travaux au seul moteur-roue, ce qui a provoqué la démission de l’inventeur. Le groupe de traction québécois pour voiture électrique, dont la commercialisation était prévue en 2000, n’a donc jamais vu le jour, et encore moins le monorail, qui en était la suite logique dans l’esprit de M. Couture.

L’émission Les affaires et la vie de Radio-Canada a révélé, le 11 novembre 1995, que Technologie M4 avait piloté la publication d’un article erroné et défavorable à l’invention de Pierre Couture. L’auteur de l’article de Québec Science, Pedro Rodrigue, avait avoué au journaliste Pierre Duchesne que la direction de Technologie M4, sa source, avait fourni l’information et approuvé l’article avant sa publication. Le résultat était de nature à dévaloriser la technologie de Pierre Couture, dont TM4 détenait pourtant les brevets et le mandat de la commercialiser.

En 2010, TM4 a refusé une entrevue à la Chaîne d’affaires publiques par câble (CPAC), pour un reportage où la journaliste Danielle Young retraçait le suivi du projet de monorail et concluait que «Hydro-Québec et sa filiale TM4 ne seraient pas associées à ce projet. La société d’État ne croit plus au concept de traction de Pierre Couture». Le président de TM4, Claude Dumas, avait lui-même déclaré qu’il ne croyait pas au moteur-roue de Pierre Couture avant «vingt ans», le 21 septembre 2006 à l’émission Maisonneuve en direct (disponible sur la page Médias de Pierre Langlois).

Un MGV sans Pierre Couture?

Aujourd’hui, MGV Québec envisage pourtant de travailler avec la firme TM4 pour créer le monorail. «Nous avons eu des échanges très brefs en haut lieu, a précisé Nicklaus Davey, coordonnateur de MGV Québec. Nous avons seulement validé, auprès du président Claude Dumas et auprès du vice-président aux affaires juridiques d’Hydro-Québec, que la propriété du moteur-roue de Pierre Couture, dont la plupart des brevets sont arrivés à échéance, est bel et bien celle de TM4.»

Le concept de monorail à grande vitesse, pour sa part, n’a jamais fait partie des travaux de TM4 ou d’Hydro-Québec. Selon Pierre Langlois, qui a aussi été conseiller auprès du gouvernement pour l’élaboration de la Stratégie d’électrification des transports, «le moteur-roue est l’un des éléments importants de l’invention de Pierre Couture, mais d’autres éléments essentiels au succès du projet n’ont jamais été dévoilés par l’inventeur du MGV». Sa collaboration reste donc incontournable. Le physicien ajoute que «les chercheurs de ce calibre sont rares et il faut absolument mettre leur talent exceptionnel au service de la société».

Avancer sans moteur-roue?

Le groupe de Sorel envisage également la réalisation d’un MGV sans moteur-roue.«La technologie de M. Couture, avec le moteur-roue, c’est une possibilité, mais ce n’est pas la seule qu’on veut regarder, affirme Dominique Bouchard. Nous, on élargit les différentes options possibles.» Selon tous les autres intervenants consultés, chercher à développer un monorail sans moteur-roue serait pourtant une vaine perte de temps et d’argent.

«Le moteur-roue est très puissant, petit et léger, explique Jean-Paul Marchand. Sans moteur-roue, c’est impossible: c’est au cœur du système du monorail. Sans moteur-roue, on tombe dans les modèles extrêmement lourds, qui voyagent à basse vitesse sur de courtes distances, et dont les coûts sont énormes.» L’ancien député craint que si on étudie des solutions impossibles sans moteur-roue, des centaines de millions de dollars de fonds publics soient engloutis dans une voie vouée à l’échec, ce qui aurait pour conséquence de discréditer pour de bon le projet de monorail.

Le moteur-roue, condition gouvernementale

L’adjoint parlementaire pour le volet électrification des transports confirme que le gouvernement n’investira pas pour étudier d’autres options. «La façon dont on voit ça, c’est avec le moteur-roue, pour s’assurer qu’on ait le plus de retombées possibles au Québec, explique le député Daniel Breton. L’idée c’est que ça ait un maximum d’impact, en fait de croissance économique, de création d’emplois et de technologie québécoise, donc c’est sûr que le moteur-roue fait partie de l’équation. C’est certain.»

Bernard Landry, qui était ministre à l’époque, semble lui-même avoir changé d’avis.«Le moteur-roue… j’ai fait venir dans mon bureau 25 ingénieurs quand j’étais ministre des finances et ils m’ont expliqué en termes simples que cette technologie ne pouvait malheureusement s’appliquer à l’automobile en raison des problèmes d’absorption de chocs que subissent les roues, se souvient-il. Mais pour un train suspendu rapide roulant sur une surface plane et sans obstacles, quel potentiel!» Pierre Couture confirme plutôt que tous les tests avaient été faits et que les moteurs-roue respectaient aisément les normes en vigueur de résistance aux chocs, comme toutes les roues conventionnelles sur le marché.

Normand Mousseau, qui vient de cosigner le rapport de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec, était professeur titulaire au Département de physique de l’Université de Montréal lorsqu’il a été interrogé pour l’émission de la CPAC, en 2010. Il affirme que le projet de monorail à grande vitesse «est technologiquement faisable et technologiquement supérieur. Plutôt que d’avoir simplement Montréal et Québec avec peut-être un arrêt sur la rive sud ou la rive nord [comme avec, par exemple, un TGV], on pourra avoir des monorails qui vont relier tout ça, de manière automatique, rapide, avec un transport beaucoup plus élargi. Donc on pourra desservir une population beaucoup plus grande. J’y crois parce que c’est la solution intelligente.»

Indépendance énergétique

Pierre Couture rappelle que son groupe de traction et son monorail ont toujours eu deux objectifs. Le premier est de donner au Québec son indépendance énergétique.«Si on fait le groupe de traction tel que je l’ai défini pour transférer tout le parc automobile sur le réseau électrique, la consommation va tomber à environ 7% du pétrole actuel, avec un ajout de moins de 5% à la consommation du réseau, sur une période de transition de 15 ans. C’est insignifiant, mais dans nos poches, c’est 10 milliards $ par année.»

Le second objectif est de régler le problème de pollution due au transport automobile à l’échelle mondiale. «La planète a besoin de ça. Ce n’est pas une blague. C’est pas seulement au Québec. On est en train de détruire tout le climat et on n’en a pas d’autre. On ne peut pas dire qu’on va s’en aller sur Mars une fois que le climat sera détruit sur la planète Terre. Il n’y en a pas d’autre, c’est la seule. On est en train de jouer dans l’aquarium, et on n’a pas le droit de faire ça.»

NB: Les propos de Bernard Landry ont été rapportés par Nicklaus Davey, coordonnateur de MGV Québec.