Entre la valse des fusions-acquisitions qui se poursuit, la crise financière des médias qui s’accélère et la liberté de la presse qui s’érode, les fronts de lutte pour préserver un journalisme indépendant et de qualité ne manquent pas.

Ensemble reprend sa collaboration avec l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) avec une première chronique dans laquelle le président de l’organisme fait le point sur quelques dossiers chauds dans l’univers des médias.

Ouvrir le débat sur le financement public des médias

Pour les médias émergents comme pour les médias établis, l’autonomie financière, garante à la fois de l’indépendance journalistique et de la qualité de l’information, demeure le nerf de la guerre. Dans un contexte de chute des recettes publicitaires, de stagnation des revenus d’abonnement et d’accaparement des revenus de distribution par les géants du web comme Google et Facebook, qui ne produisent aucun contenu, on se réjouit de constater que des voix s’élèvent pour demander un soutien public aux médias d’information.

Si, sur la forme comme sur le fond, l’idée du financement public des médias ne fait pas l’unanimité, il est impératif d’ouvrir le débat. L’avenir économique à court terme de la presse écrite, comme celui à moyen terme des médias électroniques, passe par une refonte complète des modèles d’affaire où un apport de fonds publics pourrait faire toute la différence.

On parle beaucoup, à juste titre, des risques que poserait l’ingérence de l’État dans les contenus. C’est oublier qu’à l’heure actuelle, ce sont les intérêts des propriétaires d’entreprises de presse et ceux des annonceurs publicitaires qui s’immiscent insidieusement tant dans les pages que sur les écrans. Un peu comme l’idiot qui regarde le doigt quand on lui pointe la lune, la communauté journalistique ostracise les pigistes qui s’aventurent dans le no-man’s land déontologique du marketing de contenu sans reconnaître que c’est l’industrie toute entière qui prend actuellement un dangereux virage, où la frontière entre l’information et la publicité est de plus en plus poreuse.

Pour le meilleur ou pour le pire, c’est dans la plus grande transparence que de grands médias de réputation internationale comme le New York Times et The Guardian se mettent au contenu commandité. Au Québec, peu de gens dans le milieu osent par contre éventer le secret de polichinelle que sont les pratiques éditoriales de moins en moins orthodoxes des éditeurs de périodiques.

Vers un monopole dans le secteur des magazines?

Parlant du secteur de l’édition périodique, la mise en vente des magazines francophones détenus par Rogers Média annonce un nouveau brassage des cartes dans le grand jeu de Monopoly auquel se livrent depuis des années quelques grands groupes financiers engagés dans l’industrie des médias. On ose espérer que le nouveau propriétaire sera un éditeur responsable qui honorera les dix principes du contrat équitable édictés par l’AJIQ et qui offrira des tarifs décents à ses pigistes, mais on ne rêvera pas.

Une concentration accrue dans un secteur déjà presque monopolisé par TVA publications, depuis l’acquisition par le Groupe TVA des magazines de Transcontinental, ne laisse rien présager de bon pour les journalistes indépendants qui demeurent les principaux fournisseurs de contenu pour les magazines québécois. Faut-il le rappeler, Québecor est l’un des grands éditeurs qui traitent le moins bien ses pigistes dans la province. Dans une nouvelle version « confidentielle » du contrat de QMI en circulation, l’agence demande aux pigistes de consentir « l’exclusivité de [leurs] services en presse écrite quotidienne » en échange d’un forfait de base de 200 $ par semaine. Personne dans l’industrie ne devrait pouvoir exiger l’exclusivité des services des pigistes dans un secteur donné, et encore moins pour un tarif de base aussi bas!

Au-delà de ces préoccupations d’ordre corporatiste, la perspective de voir un magazine d’affaires publiques comme L’Actualité éventuellement passer entre les mains de Québecor – qui d’autre dans l’industrie aurait les reins assez solides pour faire une telle acquisition? – a de quoi inquiéter, même après le retrait de l’actionnaire de contrôle et ex chef de l’opposition officielle à Québec, Pierre-Karl Péladeau, de la vie publique. Des informations de source sûre indiquent que Québecor aurait souhaité voir Elle Québec publier une photo de mariage du couple Péladeau-Snyder en une de l’édition de septembre 2015. Cette tentative d’ingérence a été contrecarrée par la rédaction qui a cependant mis Julie Snyder en vedette le mois suivant. Il faut croire que l’indépendance éditoriale a ses limites.

La liberté de presse menacée

Alors qu’une nouvelle perquisition dans les locaux du Journal de Montréal montre que la justice québécoise fait peu de cas du principe de protection des sources, Vice News se bat devant les tribunaux pour éviter de devoir transmettre du matériel journalistique à la Gendarmerie royale du Canada. Ces atteintes graves au travail de journalistes professionnels, qui ne représentent que la pointe de l’iceberg, ne doivent pas faire oublier que des journalistes bénévoles et des citoyens subissent régulièrement des fouilles, des perquisitions et des arrestations abusives et arbitraires en exerçant leur liberté de presse, notamment dans le contexte de manifestations.

Citons, par exemple, le cas du caméraman Cori Marshall, de CUTV, arrêté le 3 mai dernier, Journée internationale de la liberté de la presse (!), alors qu’il filmait en direct une occupation aux bureaux de l’Agence des services frontaliers du Canada à Montréal. Le caméraman fait face à trois chefs d’accusations criminelles (méfait, attroupement illégal et prise de possession par la force) passibles d’un maximum cumulatif de 14 ans de prison. S’il était condamné à une peine d’emprisonnement au terme des procédures judiciaires qui se poursuivent le 21 octobre, il faudra ajouter le Canada à la liste honteuse des pays qui figurent au baromètre des violations de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, aux côtés de régimes autoritaires comme l’Arabie Saoudite, le Cameroun et la Chine.

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Que faut-il retenir de tout ceci sinon que le combat pour une presse libre est loin d’être terminé? Parce que l’avenir du journalisme se joue maintenant, unissons nos forces et nos voix pour défendre un journalisme indépendant et de qualité aux services de l’intérêt public!