Une petite coopérative française de 70 employés a contribué à l’élaboration de la toute première route solaire au monde. Un prototype a été inauguré cette semaine en Normandie, alors que deux autres seront testés prochainement à Calgary.

 

La ministre française de l’Environnement et de l’Énergie, Ségolène Royal, était présente pour inaugurer le « Wattway », idéalisé par l’entreprise Colas. La technologie française est appelée à s’exporter; la ville canadienne de Calgary et l’état américain de Géorgie en ont déjà fait l’acquisition.

Les panneaux à l’origine de cette première voie solaire ont été fabriqués dans l’usine de la coopérative SNA, située dans le département français de l’Orne. Au total, la société fabriquera 7 000 mètres carrés de dalles photovoltaïques destinées à des routes et stationnements solaires partout sur la planète. La Wattway peut produire 767 kWh, soit l’énergie nécessaire à l’éclairage public d’une ville de 5 000 habitants.

Un modèle inspirant

En 1980, la société Areacem a été reprise par ses salariés et rebaptisée société coopérative (ou Scop) SNA. Vingt ans plus tard, la coop procédait à une réorientation radicale de la production. La production de disques compacts et de DVD a rapidement été abandonnée au profit des panneaux photovoltaïques, ce qui a entraîné une cinquantaine de licenciements.

Avec le carnet de commande actuel, l’entreprise devrait connaître des jours meilleurs. Selon La Voix du Nord, la coopérative demeure malgré tout « rescapée » d’une filière photovoltaïque en crise. Ceux qui n’ont pas eu la chance, comme la SNA, de décrocher un contrat avec un champion économique français tel le groupe  Bouygues – lui-même en contrat avec l’État – continuent à subir de plein fouet la concurrence chinoise.

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Depuis une dizaine d’années, l’Empire du Milieu a misé massivement sur le développement de l’énergie solaire, jusqu’à diviser ses coûts de production par quatre. Cette redoutable compétitivité a mis tous les autres producteurs mondiaux en difficulté. D’où une chute de 18% du marché mondial de l’énergie solaire en 2012.

Les dirigeants de la SNA interrogés par BFM TV affirment qu’il importe pour leur société de produire des équipements de qualité, et non de rivaliser avec les équipements de leurs concurrents chinois. La coopérative fait partie de ces petits producteurs solaires confortés par la politique de prix de rachat garantis et de multiplication des appels d’offre adoptée en application de la loi française de transition énergétique.

Les Chinois ont bon dos

De toute évidence, les producteurs comme la SNA sont pénalisés par le manque de débouchés offerts par la France, où les énergies renouvelables restent marginales comparées aux énergies fossiles et nucléaires. Pour le gouvernement français, l’objectif annoncé était de tailler une part de 23 % aux énergies renouvelables (EnR) dans la consommation énergétique des Français d’ici 2020. Pour l’heure, cette part ne s’élève qu’à 14 %, selon le Syndicat des énergies renouvelables (SER) et en 2017, le pays va changer de président…

Comment la France parvient-elle à inventer et exporter des technologies solaires de pointe telles que le Wattway tout en restant à la traîne parmi les producteurs d’énergies renouvelables? Comment se fait-il qu’avec un tel potentiel d’ingénierie et de génie civil, le pays des Lumières soit encore loin d’occuper l’avant-garde de la transition énergétique, n’en déplaise aux organisateurs de la COP21 et aux agents de communication de Ségolène Royal?

L’énergie nucléaire, pilier de la France

La loi de transition énergétique, promise par François Hollande et adoptée en mai 2016, touche la prééminence du nucléaire. Aujourd’hui, 70 % de l’énergie consommée en France provient des réacteurs nucléaires. Selon ladite loi, cette part sera ramenée à 50 % d’ici 2025.

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La centrale nucléaire de Cruas, en Ardèche.

Même si le gouvernement français encourage la transition énergétique par des appels d’offre dans les secteurs éolien, solaire ou autres producteurs d’énergies renouvelables, aucun objectif de fermeture des nombreux réacteurs nucléaires vieillissants de l’Hexagone n’a été affiché. Seule la centrale Fessenheim est à l’arrêt. Sa fermeture définitive demeure toutefois incertaine.

L’électricien français EDF, dont le monopole sur l’achat d’électricité n’a été supprimé qu’en février dernier, reste dans une situation de surcapacité productive chronique. D’où la nécessité d’une intervention publique pour stimuler des projets destinés à satisfaire le peu de demande énergétique laissée par EDF et les producteurs d’énergie fossile, présents également sur le marché de l’électricité. Un système de marchés publics qui profite surtout aux géants industriels français tels que Bouygues, Engie et la SNCF.

À quand des routes solaires québécoises?

La schizophrénie de la politique française de transition énergétique n’est pas sans rappeler le texte usine à gaz appelé « Loi 106 » au Québec, qui proclame l’objectif d’un dépassement des 60% de production renouvelable dans le mix énergétique québécois… tout en libéralisant l’extraction d’hydrocarbures. Le monopole public Hydro-Québec, producteur de 96 % de toute l’électricité consommée dans la province à des tarifs quatre fois moins cher qu’aux États-Unis, ne risque pas d’être exposée à cette nouvelle concurrence. En revanche, l’arrivée d’hydrocarbures locaux sur le marché du chauffage peut battre en brèche les positions déjà marginales qu’y occupe l’énergie solaire.

Les Québécois sont conscients de leur immense potentiel énergétique solaire. Selon Patrick Goulet, porte-parole de l’association Énergie solaire Québec, ce potentiel est « au moins aussi important que celui de l’Allemagne », mais peu exploité à cause des « coûts très bas de l’électricité » produite par Hydro-Québec. D’où un déploiement d’énergie solaire « qui se fait surtout auprès des propriétaires de maisons qui utilisent des systèmes solaires passifs ».

C’est le cas de la laiterie Chagnon, à Waterloo (60 km à l’est de Montréal), qui chauffe l’eau qu’elle consomme à l’aide de l’énergie solaire qui arrive par des capteurs situés sur son toit. En 2012, ce système à concentration solaire parabolique (CSP) a d’ailleurs valu à son concepteur, l’entreprise Rackam, le Prix Innovation technologique à l’occasion de la 22e  édition de la Soirée Énergia.

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L’entreprise québécoise Rackam a remporté un prix d’innovation technologique pour son système de captage solaire.

L’Allemagne, un exemple à suivre

Lorsqu’on voit la France s’accrocher au nucléaire et le Québec développer l’extraction d’hydrocarbures, on est tenté de regarder outre-Rhin. Sans pour autant faire l’éloge du modèle économique allemand, la dynamique citoyenne et participative initiée là-bas il y a cinq ans est impressionnante.

En 2011, plus de 80 000 citoyens ses sont engagés dans des coopératives citoyennes d’énergie, en y investissant plus de 800 millions d’euros, soit plus d’un million de dollars canadiens. D’après le magazine Reporterre, les régies municipales, sociétés coopératives citoyennes et éco-villages agricoles sont aujourd’hui responsables d’un kilowattheure d’énergie renouvelable sur deux produits dans le pays.

Il ne fait pas de doute, la sortie du nucléaire a engendré la révolution écologique allemande. L’engagement coopératif historique initié dans le pays a fait bondir la production énergétique écologique. Jusqu’à ce qu’un amendement législatif daté de 2014 dégrade les conditions d’investissement dans ces coopératives… La marche de l’histoire est dialectique même lorsqu’il y a urgence – en l’occurrence climatique.

Pour compenser les coûts élevés de production, la tendance actuelle au niveau international est l’intégration de panneaux solaires à des matériaux d’usage quotidien. En octobre, Tesla Motors a créé la surprise avec ses tuiles pour toits de maison doublées de panneaux solaires. D’autres compagnies intègrent des composants photovoltaïques aux façades. Avec la technologie Wattway, le français Colas chasse sur les terres du suédois Scania et de l’étatsunien Solar Roadways, qui eux aussi, réalisent des projets verts pour les infrastructures routières.

Au Québec, la part d’énergies renouvelables, grâce à l’hydroélectricité, ne sera pas remise en cause dans la production d’électricité. En revanche, l’arrivée d’hydrocarbures locaux sur le marché du chauffage peut battre en brèche les positions déjà marginales qu’y occupe l’énergie solaire.