Depuis sa lecture du rapport Meadows en 1972, Jean Ouimet consacre ses efforts à une seule et unique chose : l’avenir de la planète. Après plus de quatre décennies à interpeller citoyens et politiciens sur les dangers de la croissance économique, ce laboureur de consciences récidive avec l’idée de faire converger autochtones et nationalistes dans un contrat social qui vise à sauver l’environnement et le destin de l’Humanité. Parcours d’un homme déterminé à remédier à l’urgence écologique.

Produit en vue de la toute première conférence mondiale sur l’environnement, The Limits to Growth (en français Halte à la croissance?) a eu l’effet d’une bombe sur Jean Ouimet. En guise d’engagement personnel, le jeune homme de 19 ans décide dès lors de tracer son chemin loin des véhicules à moteur.

« Les chercheurs du MIT avaient été mandatés par le Club de Rome pour évaluer ce qui arriverait si on poursuivait la croissance économique. Leur conclusion? On pouvait se rendre jusqu’à 2020. Ensuite, c’est… down the drain. »

Visant une maîtrise en physique théorique, le futur mathématicien redirige ses études vers la philosophie des sciences pour tenter de « comprendre le monde ».

Déçu de la pensée réductionniste où tout se réduit à « combien ça coûte? », Jean Ouimet découvre les travaux du mathématicien et biologiste américain Robert Rosen, part en Suisse où il découvre la souveraineté populaire à travers la démocratie participative, puis élabore son premier projet de société.

« En Suisse il y a une direction collégiale. Ils n’ont pas un parti au pouvoir, mais trois. Ça ne crée pas du tout la même dynamique. Des Donald Trump, ça ne passe pas là-dedans. »

Lors d’un périple d’escalade dans les Rocheuses, ce chercheur de vérité comprend qu’un simple coup du pied peut faire déplacer des milliers de tonnes de neige. « J’ai donné mon coup de pied dans mon avalanche en février 1988. J’étais chef du parti Vert en janvier suivant. »

Un parti qui dérange

L’environnementaliste estime avoir été muselé par les médias à maintes reprises au cours de sa carrière. En 1989, 32 des 46 candidats en lice atteignent la troisième position aux urnes. Au Saguenay , les Verts obtiennent 15,5 % du vote.

« La moitié de la campagne a porté sur l’environnement. Le soir des élections, on ne mentionne pas une seule fois le nom du parti Vert », dénonce Jean Ouimet.

À l’occasion de la commission Bélanger-Campeau, sur l’avenir constitutionnel du Québec, le parti présente sa position sur la souveraineté populaire et la démocratie participative. « On dépose notre mémoire dans les délais, mais on refuse de nous recevoir », déplore l’ancien chef des Verts.

L’année suivante, un nouveau mémoire tente de démontrer l’inutilité du projet Grande-Baleine mais ces efforts passent une fois de plus sous silence. En 1992, alors que le Sommet de Rio bat son plein, le parti Vert est prêt à débattre bien que les médias continuent de le bouder.

Déceptions entourant un beau risque

Voyant que les Verts n’arrivent pas à obtenir la visibilité voulue, Jean Ouimet accepte l’invitation du député Denis Lazure et joint les rangs du parti Québécois. À l’époque, Martine Ouellet préside le comité national sur l’environnement au PQ et Pauline Marois agit comme critique en environnement pour l’opposition. Jean Ouimet aide le parti à verdir ses propositions. Résultat, le programme 1994 du parti Québécois est novateur en termes de développement durable. « Je me suis dit : le parti Québécois va prendre le pouvoir. Il y a une urgence. Il faut s’unir. Souveraineté nationale ou populaire, je suis capable de composer avec ça. »

Conseiller spécial du chef de l’opposition au développement durable, Jean Ouimet propose une tournée du Québec à vélo pour promouvoir le programme du parti; une équipe de sept cyclistes s’engage dans un périple de trois mois et demi.

« On a fait une tournée de 4300 kilomètres. C’était plus long que le tour de France. Quand on est arrivés à Havre-Saint-Pierre, les gens étaient étonnés. L’exécutif du PQ ne venait même pas en avion parce qu’il trouvait ça trop loin. »

Plusieurs députés donnent un coup de pédale dans leur circonscription au moment de conférences de presse régionales, y compris Lucien Bouchard. L’expédition se termine trois semaines avant le vote.

« Aussitôt que le PQ a pris le pouvoir, Jacques Brassard est devenu ministre de l’Environnement et tout le programme sur le développement durable a été écartéJe n’ai pas été retenu auprès du Premier ministre ou du ministère de l’Environnement.»

Un Québec souverain, mais pas n’importe lequel

À l’approche du référendum de 1995, Jean Ouimet en appelle à un nouveau contrat de société. À ses yeux, les recommandations déposées lors de la commission nationale sur l’avenir du Québec sont esquivées. Désabusé, l’environnementaliste refuse de voter.

« Je savais que ce qu’on nous proposait, c’était un statu quo dans un Québec souverain. On ne fera pas la souveraineté pour changer quatre 30 sous pour une piastre. Il faut un projet clair dans lequel on s’engage. Pas pour dire « non » au Canada, mais « oui » au Québec

Comme on le sait, les Québécois ont finalement refusé la voie de l’indépendance. En 2003, au tour de Bernard Landry de lancer sa « saison des idées ». Infatigable, Jean Ouimet repart en croisade pour défendre son idée de contrat social et de démocratie participative.

La proposition est adoptée par 80 % des délégués du PQ au congrès national de juin 2005. Les statuts du parti indiquent alors que « les citoyennes et les citoyens doivent pouvoir dire comment ils envisagent le passage d’un Québec provincial à un Québec souverain, comment ils conçoivent le contrat social qui doit les lier les uns les autres et comment ils entrevoient les fondements philosophiques et institutionnels du pays à créer. »

L’idée d’élargir le dialogue à la population a été retenue durant plusieurs années avant de disparaître discrètement des documents officiels du parti.

La chefferie pour pousser son idée

Lors de la démission de Bernard Landry, Ouimet revient à la charge et décide d’affronter André Boisclair et Pauline Marois à la chefferie du PQ. L’humaniste obtient un résultat de 250 voix.

« Depuis 25 ans, j’ai une expérience sur la collusion entre l’argent, le politique et les médias. Un discours comme le mien est complètement éjecté. Je me console en me disant que si j’avais été en Russie, on m’aurait déjà envoyé en SibérieIci, on me coupe le micro

Malgré ses tentatives d’initier un changement au sein de la machine politique, l’homme ne désespère pas. L’ex-politicien est revenu en selle il y a trois ans avec un document entériné notamment par Claude Béland, Roméo Bouchard, André Bélisle, Omar Aktouf et Jonathan Durand-Folco.

Jean OUIMET et BOUCHARD

Jean Ouimet en compagnie de l’écologiste et militant Roméo Bouchard.

Une R-évolution en trois axes

Redéfinir le contrat social, la démocratie et l’économie québécoise constituent une urgence, selon Jean Ouimet. Et le travail doit d’abord s’activer au niveau local pour atteindre peu à peu la sphère mondiale.

« Notre monde est comparable à un cancéreux du poumon à qui on demande de fumer plus pour pouvoir financer la rechercheIl faut arrêter d’éteindre des feux et trouver la manette. Et la manette, c’est la souveraineté populaire. »

Jean OUIMET photo 2

À pied ou à vélo, Jean Ouimet sensibilise les citoyens pour un mode de vie durable.

L’engagement collectif passe par un meilleur partage des responsabilités, soutient l’humaniste. Fini l’opposition de gens qui s’affrontent. Au contraire, il faut faire émerger l’intelligence collective à travers la multiplication de délibérations citoyennes. Et établir un processus d’évaluation collective en vue de l’acceptabilité écologique, sociale et économique de tout projet mis de l’avant dans nos localités respectives.

« Dans nos démocraties représentatives on attire des personnalités de type pervers-narcissique à la Donald Trump. Harper, Gaétan Barrette, Poutine en sont des exemples. On les attire. Et elles contaminent nos organisations

Une formule tout-en-un pourrait faciliter la tenue de référendums d’initiatives populaires lors de projets litigieux, avance M. Ouimet. Mais tout cela entraîne des frais. L’exercice est évalué à 140 000$.

« Si on veut faire un barrage démocratique au projet de pipelines de TransCanada, on organise des référendums dans les municipalités concernées et la loi 106 ne passe pas. C’est bien plus fort qu’un BAPE. Ce n’est pas la loi qui doit être la référence, c’est le peuple. »

Le hic, c’est que bon nombre d’élus considèrent le coût d’un référendum nettement dissuasif. « Le processus même est souvent méconnuEt les expériences qu’on en a se résument à des confrontations.»

Créer une monnaie alternative

Du côté de l’économie, une monnaie complémentaire non convertible pourrait nous libérer de l’emprise des banques internationales et transformer l’endettement écologique et social en enrichissement collectif, estime le penseur. Gérée par une institution financière sous mandat et contrôle citoyen, cet argent parallèle n’aurait cours qu’au Québec et ne servirait qu’à acquérir des produits et services locaux.

Jean Ouimet va plus loin en lançant l’idée d’un salaire universel de 15 000$ en échange de 1000 heures de travail par an au profit de projets de société verts et structurants. Étudiants de plus de 16 ans, artistes professionnels ou aidants naturels y auraient automatiquement droit puisqu’ils participent d’emblée à l’enrichissement collectif. « Tu prends 30 à 40 % de la population qui vit dans l’insécurité économique, et tu les sors de là. Et à ceux qui gagnent 100 000$, tu leur demandes une empreinte écologique de un. La population devient le fer de lance d’un virage en vue de respecter les limites de la planète

L’environnementaliste rêve qu’un maximum de candidats indépendants se présente aux prochaines élections municipales pour porter l’idée d’un engagement communautaire pour la planète. Pour l’heure, des discussions sont en cours avec les différentes factions indépendantistes afin de lancer une convergence des souverainistes pour un engagement planétaire. Les communautés autochtones seront également appelées à joindre le processus.

  « On a déclenché un tsunami. Il faut apprendre à surfer dessus plutôt que d’être emporté par lui. »