Quelque 20 000 scientifiques réunis cette semaine à un important congrès à San Francisco ont reçu un « guide de poche » contre « le harcèlement politique et l’intimidation légale ».  Depuis le mois dernier, cet effort figure parmi bien d’autres et vise à contrecarrer les plans d’un président perçu par plusieurs comme anti-science et déterminé à démanteler des décennies de politiques environnementales.

 

Le Guide en question émane du Climate Science Legal Defense Fund, un fonds de défense créé en 2011 en réaction au harcèlement et aux menaces de poursuites dont les climatologues étaient alors la cible : accusations de dissimulation d’information, demandes d’accès aux courriels privés…  Des comportements issus systématiquement de groupes climatosceptiques, dont les acteurs se retrouvent à présent dans l’équipe Trump.

Le document remet à plat des notions qui relèvent de l’évidence pour des juristes, mais avec lesquelles des profs d’université ont rarement eu à jongler : se tenir à jour sur la portée des lois d’accès à l’information; se rappeler « qu’un courriel n’est pas toujours privé » et d’un intérêt particulier en cette ère « post-factuelle », éviter de répondre « aux messages qui semblent de mauvaise foi » mais les archiver tout de même, au cas où ils serviraient plus tard en guise de preuve.

Alors qu’une mini-campagne sur les réseaux sociaux encourage les gens à faire une contribution à ce fonds de défense, le magazine de gauche ThinkProgress, progressiste et pro-environnement, en profite lui aussi pour faire un appel à contribution : « il est temps d’augmenter la pression sur Trump ». Son slogan se résume en un mot : « Résistez ».

Les climatosceptiques débarquent

Ceux qui se soucient de l’avenir de notre planète ont, pour le moment, beaucoup de raisons d’être inquiets. Depuis un mois, parmi les « nominés » de Trump, la liste des climatosceptiques et des gens pour qui les lois environnementales sont une nuisance, ne cesse de s’allonger.

Les médias ont fait grand cas de la nomination, le 7 décembre, du juriste Scott Pruitt à la tête de l’Agence de protection de l’environnement (EPA) : climatosceptique notoire, il a été financé par les pétrolières pour combattre les législations environnementales d’Obama.

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Les épisodes de sécheresse se multiplient dans le monde.

Il n’était pas le premier, puisque l’économiste Myron Ebell, un des chefs de file du mouvement climatosceptique, était déjà à la tête de l’équipe de transition de l’EPA.

Kathleen White, Doug Domenech et David Schnare, sont connus pour leurs attaques contre les climatologues. White et Domenech sont des lobbyistes du pétrole au Texas, tandis que Schnare a été au centre de campagnes d’intimidation depuis cinq ans: menaces de poursuivre des scientifiques en justice et requêtes abusives d’accès à l’information. C’est un avocat du charbon.

George Sugiyama, nommé la semaine dernière, était l’avocat-conseil du sénateur de l’Oklahoma Jim Inhofe, celui qui répète depuis des années que le réchauffement climatique est un canular. David Kreutzer, nommé en même temps, est de la Fondation Heritage, un de ces groupes climatosceptiques financé par les pétrolières.

Christopher Shank, premier membre de l’équipe de transition de l’agence spatiale américaine (NASA),  s’est lui aussi dit climatosceptique. Des observateurs ont suggéré en novembre que la première tâche du nouveau gouvernement pourrait être d’abolir les recherches en « sciences de la Terre » menées à l’agence.

La candidate au poste d’ambassadrice des États-Unis à l’ONU, Nikki Haley, est gouverneure de Caroline du Sud, où on lui a reproché depuis 2013 « d’enterrer » les rapports de son propre gouvernement sur les risques que les changements climatiques font courir à l’économie locale.

Le candidat au poste de ministre de la Justice, Jeff Sessions, a reconnu ne pas croire aux changements climatiques.

Le futur numéro un de la Maison-Blanche, Reince Priebus, a déclaré en novembre que la position par défaut de Trump, c’est le climatoscepticisme.

Les deux candidats possibles au poste de ministre de l’Intérieur, Cathy McMorris Rodgers et Ryan Zinke ont déjà affiché leurs couleurs climatosceptiques. Le ministère de l’Intérieur est notamment en charge des parcs nationaux et tous deux ont dit être favorables à la vente de terres publiques pour l’exploitation minière ou pétrolière.

Celui pressenti comme ministre de l’Énergie, l’ancien gouverneur du Texas Rick Perry, s’était prononcé en 2012 pour l’abolition… du ministère de l’Énergie.

Un rappel : aucun de ces climatosceptiques n’a de relevés scientifiques ou de faits nouveaux à offrir.

Ce qu’on appelle climatoscepticisme est une opinion, tandis que la climatologie s’appuie sur des données scientifiques.

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La fonte de l’Arctique, un phénomène documenté.

L’opinion en question est alimentée par une stratégie de marketing en tous points similaire à celle qui avait jadis fait le succès des compagnies de tabac. L’objectif, comme l’ont révélé les documents des procès des cigarettiers, n’était pas de mener un débat sur des faits, mais de créer dans la population et chez les politiciens, l’illusion qu’il subsistait un doute sur les faits scientifiques afin de retarder la mise en place de législations anti-tabac ou anti-pollution.

Les amis de la Russie… et du pétrole

Ironiquement, le président de la multinationale du pétrole Exxon, Rex Tillerson, nommé le 12 décembre Secrétaire d’État (ou ministre des Affaires étrangères) est plus « progressiste » que les autres : il a admis cette année la réalité du réchauffement climatique et s’est prononcé pour une taxe du carbone. Ces prises de position constituent un virage par rapport à ses prédécesseurs, Exxon ayant été pendant un quart de siècle le principal bailleur de fonds des organismes climatosceptiques.

Par ailleurs, ses amitiés avec la Russie risquent de lui causer des ennuis auprès des sénateurs qui auront le pouvoir d’accepter ou de rejeter sa nomination. Plusieurs membres de l’équipe Trump éprouvent de la sympathie vis-à-vis de l’ex-URSS mais dans son cas, un lien environnemental s’est tissé à tout le reste.

En 2011, Tillerson a signé un partenariat avec le géant russe du pétrole, ouvrant à Exxon la porte de l’exploitation pétrolière dans l’Arctique russe. Le contrat a été bloqué à cause des sanctions internationales imposées à la Russie pour son invasion de l’Ukraine. En 2014, le patron pétrolier s’était prononcé contre.

Pour la Russie, la situation actuelle constitue un parfait alignement des planètes : au Secrétariat d’État, l’ex-PDG d’Exxon pourait annuler les sanctions et débloquer un joint venture d’une valeur estimée à 500 milliards de dollars.

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Plateforme pétrolière en Russie

Pour le militant environnemental américain Bill McKibben, qui réagissait il y a quelques jours, cette nomination serait « une bonne façon de montrer clairement qui dirigera le gouvernement… Vous n’avez qu’à couper les intermédiaires et donner le contrôle directement à l’industrie pétrolière ».

Climatologues, aux abris!

Peu rassurant : un questionnaire rédigé par l’équipe Trump et distribué aux employés du ministère de l’Énergie, dont l’existence a été révélée le 8 décembre, comprend 74 questions dont celle-ci :

Pouvez-vous fournir une liste de tous les employés du ministère et des contractuels qui ont participé à toute Conférence des parties (sous l’égide de la Convention des Nations Unies sur les changements climatiques ) au cours des cinq dernières années?

Des climatologues aux défenseurs des libertés civiles,  le document a créé beaucoup d’émoi sur les réseaux sociaux. Réagissant au fait que cet exercice pourrait être assimilé à une « chasse aux sorcières », le ministère de l’Énergie a indiqué à l’équipe de transition le 13 décembre qu’il ne fournirait aucune donnée du genre.

Pour le mouvement environnemental, une telle agitation facilite la mobilisation. Le professeur de droit environnemental Jedediah Purdy rappelait dans The Atlantic le 7 décembre que l’environnementalisme était à l’origine un « mouvement de justice sociale » et qu’à ce titre, les occasions de s’indigner ne risquent pas de manquer dans les quatre prochaines années : des tentatives de la future Maison-Blanche pour démanteler l’Agence de protection de l’environnement à l’abolition de lois sur la protection de l’eau ou de l’air; des manifs contre des pipelines aux marches en faveur du climat; de la défense des populations pauvres qui sont parmi les plus affectées par les problèmes environnementaux à la résistance des autochtones face à la protection de leurs terres; des attaques politiques contre les climatologues aux campagnes de désinformation dont Facebook a désormais le secret; de l’exploitation de pétrole depuis les parcs nationaux jusqu’à l’océan Arctique.

Et si Trump quittait lui-même la scène avant que tous ces bouleversements ne se produisent? Ceux qui caressent ce rêve oublient un peu vite que les « nominés » auront toutes les raisons de rester en place, d’autant plus que le vice-président Mike Pence est un représentant de la droite religieuse, qui n’a jamais fait montre d’un quelconque intérêt pour l’environnement, le climat ou la science.