Dans le cadre de la présente campagne électorale fédérale, l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) tient à remettre à l’avant-plan l’importance du journalisme dans le débat public. C’est pourquoi l’AJIQ lance une plateforme qui vise à interpeler le public, le milieu journalistique ainsi que les partis politiques sur une série d’enjeux qui concernent la liberté de presse, l’accès à l’information et la crise des médias.

En juin dernier, l’Association canadienne des journalistes et les Journalistes canadiens pour la liberté d’expression se disaient « profondément préoccupés par les actions brutales menées par le Service de police de la Ville de Montréal pour restreindre le travail des journalistes » depuis 2012. Plusieurs journalistes identifiés à des médias étudiants ou indépendants font état de discrimination, d’intimidation et de brutalité policière. L’an dernier, le chroniqueur de La Presse Patrick Lagacé rapportait avoir été menacé d’accusations criminelles par des enquêteurs de la Sûreté du Québec qui essayaient de lui soutirer de l’information sur une fuite dans une affaire de corruption policière à Montréal. Deux ans plus tôt, Reporters sans frontières apprenait « avec consternation et inquiétude » qu’une perquisition avait été menée chez un journaliste d’enquête du Journal de Montréal. Ces pratiques policières représentent des atteintes inacceptables à la liberté de la presse.

Alors que les services canadiens de renseignements tentent d’utiliser des journalistes ou de se faire passer pour des journalistes afin d’obtenir des informations privilégiées, le gouvernement fédéral se drape dans l’opacité afin de mieux étouffer les scandales ou tout simplement pour soustraire au regard du public, des médias et des parlementaires des informations vitales au débat démocratique. La culture de contrôle de l’information se propage à tel point que des institutions publiques et privées détournent les mécanismes des lois d’accès à l’information pour empêcher la divulgation de renseignements jugés délicats, comme le fait actuellement l’Université McGillen refusant à des étudiants l’accès à de l’information sur la recherche militaire qui y est menée.

Au Canada, le niveau de concentration de la propriété dans le secteur des médias d’information est l’un des plus élevés au monde. Une enquête récente du Conseil de presse du Québec sur l’indépendance journalistique face aux intérêts commerciaux, publicitaires et corporatistes laissait croire que « de nouvelles pratiques commerciales mettent aujourd’hui en péril cette valeur fondamentale du journalisme ». Face à cette situation, l’État doit intervenir pour assurer une régulation adéquate du secteur des médias et des télécommunications.

En plus de sa valeur inestimable pour la délibération collective, l’information comporte une valeur monétaire en tant que propriété intellectuelle. Or, la plupart des éditeurs de périodiques au Canada exigent aujourd’hui de leurs collaborateurs des cessions de droits qui ont pour effet de priver les journalistes pigistes de revenus de droits d’auteurs. De plus, certaines exemptions à la Loi sur le droit d’auteur permettent à des usagers de reproduire et de distribuer sans autorisation ni compensation des œuvres journalistiques protégées. L’AJIQ considère qu’une société soucieuse de préserver son patrimoine intellectuel se doit de protéger les droits d’auteur des créateurs, souvent précaires.

Dans les dernières années, on a observé une nette dégradation des conditions de travail dans le milieu du journalisme, en particulier chez les pigistes. Selon les résultats d’un sondage réalisé par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec en 2013, l’immense majorité des journalistes professionnels estime que cette précarité croissante nuit au journalisme. La dégradation de la qualité d’emploi des journalistes s’inscrit par ailleurs dans une tendance généralisée vers la précarisation que Statistiques Canada percevait déjà en 2003 comme un « signe de changements dans les conditions économiques et sociales en général ». Nos gouvernements doivent améliorer la protection de l’ensemble des travailleurs et des travailleuses, notamment de la nouvelle classe de travailleurs indépendants qualifiés à laquelle de plus en plus de journalistes appartiennent.

Dans le secteur de l’information, la dégradation des conditions de travail découle d’une grave crise du financement qui menace la survie même des médias traditionnels. Alors que le secteur des technologies de l’information et des communications est en plein essor, la diminution drastique des revenus dans les médias d’information se traduit par des compressions budgétaires et des rationalisations qui menacent la qualité de l’information, voire l’intégrité du journalisme . C’est pourquoi le modèle de financement doit être revu et amélioré de manière à maintenir la qualité d’emploi des journalistes, mais surtout afin de favoriser un nécessaire renouveau des modèles favorisant l’essor d’un journalisme indépendant d’intérêt public et de qualité.

Simon Van Vliet, président de l’Association des journalistes indépendants du Québec

[NDLR : Simon Van Vliet est également membre du comité de rédaction du journal Ensemble et du conseil d’administration de la Coopérative de journalisme indépendant.]