En avril dernier, le grossiste Sobeys reprenait la gestion des deux magasins IGA et des deux dépanneurs Bonisoir appartenant à la Coopérative des consommateurs de Rimouski. Sobeys affirmait alors qu’il y avait un certain laxisme dans la gestion des quatre commerces et que la coop n’était pas en mesure de rembourser ses dettes s’élevant à plus de cinq millions $. Cet automne, la Coopérative des consommateurs de Rimouski sera dissoute pour faire place à une nouvelle coopérative, Alimentation Coop Rimouski. Pour bien comprendre les enjeux de cette histoire, faisons d’abord un saut en arrière.

La Coopérative des consommateurs de Rimouski, autrefois appelée La Ménagère, a été fondée en 1939, à la fin de la crise économique des années 30. À l’époque, l’assurance-emploi et l’aide sociale n’existent pas et le manque de travail rend la vie difficile pour les ménages rimouskois. Une dizaine de citoyens décident alors de se regrouper afin d’offrir des denrées alimentaires à bas prix. La Ménagère était née. Pour le président-fondateur Paul Hubert, cité dans l’ouvrage La coopérative des consommateurs de Rimouski, 65 ans de services aux membres de Jeannot Bourdage et Émilie Devoe, c’est en se regroupant que les gens sortiront de la misère : « La coopération est un puissant moyen de libération économique entre les mains du peuple. »

Ces valeurs de solidarité et de démocratie, l’ex-directeur général Normand Dagenais les défendait en avant-propos du même livre : « Au-delà de l’histoire des grandes guerres, des grands traités et des grands noms, il y a l’histoire de tous les jours. […] Elle débute avec une poignée d’individus qui voulaient améliorer le sort de leurs voisins, se poursuit avec des centaines d’autres qui poursuivent leur rêve pour le faire grandir, se perpétue grâce aux milliers d’administrateurs, d’employés et de membres qui, encore aujourd’hui, contribuent à améliorer la vie des Rimouskois. » Rappelons que M. Dagenais fait maintenant l’objet d’une poursuite en justice intentée par le grossiste Sobeys, qui allègue que l’ancien directeur général a détourné près d’un million $ entre 1997 et 2011, au détriment de la coopérative. Mais au-delà des fraudes qui ont peut-être été commises, le contexte du commerce de l’alimentation a fort probablement contribué à mettre la coop en situation délicate.

Un contexte difficile

Depuis sa fondation il y a 72 ans, la Coop a vécu maintes situations difficiles : pertes et déficits importants, arrivée des compétiteurs GP (1967) et Steinberg (1969), ralentissements économiques. Chaque fois, elle a survécu aux écueils et trouvé de nouveaux membres. Elle en comptait récemment 12 000. Mais de nos jours, la vie est dure pour les coopératives de consommateurs en alimentation.

Selon une étude réalisée en 2008 par le ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation,
seulement 10 % d’entre elles franchissent le cap des 10 ans. L’exode rural et la concentration des grandes chaînes alimentaires sont à l’origine de ce phénomène, mais aussi la faillite de la Fédération des magasins coop en 1982, qui agissait à titre de grossiste pour les coopératives en alimentation.

Aujourd’hui, Loblaws, Metro et Sobeys se livrent une chaude lutte dans la distribution des denrées alimentaires au Québec. Walmart et Target vont bientôt joindre les rangs, et Sobeys, qui contrôlait 18 % du marché québécois en 2002, derrière Loblaws et Metro, ne veut pas perdre sa place. C’est pourquoi lorsque les 1 000 membres de la coop présents à l’assemblée générale du 30 mai dernier ont voté contre la proposition de Sobeys, qui leur demandait de céder les actifs de la coop, Sobeys a promis d’étudier d’autres solutions.

La force du nombre

Par définition, une coopérative de consommateurs vise à rassembler des membres pour leur offrir des biens aux meilleurs prix possible. Pour obtenir ces bas prix, les membres doivent consommer et s’impliquer dans leur coop. Selon Julien Boucher, coordonnateur en recherche et développement de la Coopérative de développement régional (CDR) Bas-Saint-Laurent/Côte-Nord, les gens cherchent souvent à réduire leur facture d’épicerie, mais oublient les avantages que leur procure leur coopérative : « Dans une coop, tout ce qui est fait comme profit est redistribué dans la communauté, c’est ça parfois que les gens oublient. À partir du moment où les gens ne s’investissent plus dans leur coop, ils n’ont plus le droit de chialer. » Les coopoints, les cours de cuisine, et surtout le pouvoir des membres et des administrateurs dans la gestion de la Coop de Rimouski sont des avantages qui risqueraient de disparaître si les magasins étaient gérés par un propriétaire privé.

En juin dernier, Sobeys a proposé de dissoudre la coop existante et d’effacer une partie de ses dettes afin d’en créer une nouvelle. « C’est une proposition intéressante, juge M. Boucher. Mais en même temps, Sobeys n’avait pas le choix pour garder sa clientèle. Maintenant, il faut que la population se mobilise, sinon ça ne servira à rien. » C’est ce que les citoyens ont fait le 22 août dernier. Environ 700 personnes se sont présentées à une assemblée d’information sur la nouvelle coop, et près du tiers d’entre elles y ont adhéré. Mais ce n’est pas assez. Pour garder la formule coop, Sobeys exige que 4 000 membres souscrivent des parts sociales à 125 $ avant le premier décembre. Le grossiste réclame aussi un siège au conseil d’administration, qui est normalement élu démocratiquement par les membres.

Selon Marcel Pichette, directeur général de la Fédération des coopératives d’alimentation du Québec, il arrive assez fréquemment qu’un investisseur siège au sein du conseil d’administration d’une coop pour s’assurer de son bon fonctionnement. Mais Sobeys ne devrait pas être trop présent, affirme-t-il, puisque les quatre commerces de Rimouski sont déjà plus rentables qu’il y a quelques mois : « Actuellement, on passe de 50 millions, en incluant les dépanneurs, à 54-55 millions de chiffre d’affaires. Si ces magasins sont opérés tel qu’ils devraient l’être, ce sont définitivement des projets rentables et peu risqués. »

Les 4 000 membres exigés par Sobeys devraient être recrutés assez rapidement, selon M. Pichette. Une équipe de 16 personnes a été formée pour trouver de nouveaux membres et tenir des kiosques en permanence dans chaque magasin. Au moment d’aller sous presse, 1 ooo personnes ont adhéré à Alimentation Coop Rimouski.

Chose certaine, avec la dissolution de la Coop d’alimentation de Rivière-du-Loup au profit de la chaîne Super C l’an dernier, la vente des supermarchés GP à Metro il y a deux ans et la situation précaire de la Coopérative des consommateurs de Rimouski, la population doit se demander quel type de commerce elle a envie de soutenir. De nos jours, les propriétaires de supermarchés locaux ont tendance à devenir une denrée rare.

Paul Morris LeBoutillier était impliqué dans le comité de survie de l’ancienne coop et il s’est engagé dans le comité provisoire de la nouvelle coopérative. Interrogé en marge de l’assemblée sur la façon de recruter les 4 000 membres, il souhaite « que tous les membres soient appelés un à un et qu’on propose des modalités de paiement, parce que c’est pas normal qu’on n’aille pas chercher tout le monde. Il faut seulement adapter l’offre pour que tout le monde y trouve son compte. On est dans une petite communauté, c’est la plus grosse et la plus ancienne coopérative alimentaire au Québec, qui vend 50 % de l’essence et de l’épicerie à Rimouski, tout en garantissant le meilleur prix dans les deux cas. Sa valeur approche les 10 millions $. Il s’agit de servir les intérêts collectifs de la communauté. Le Mouvement coopératif, c’est une vision, c’est une vie, c’est les gestes qu’on pose en tant que consommateur. On n’est pas juste venus manger, consommer des biens et produire des déchets. On est venus contribuer à une meilleure société. Notre devoir, c’est de participer, de s’impliquer. Pas juste d’en parler, mais de le faire. »
Photo: N.Falcimaigne

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Cet article du journal Ensemble, presse coopérative et indépendante, paraît simultanément dans Le Mouton Noir avec l’aimable autorisation de son auteure.
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