La Fédération professionnelle des journalistes du Québec invitait cette semaine les chroniqueurs, journalistes et éditorialistes de tous les grands médias du Québec à souligner la Journée mondiale de la liberté de la presse. Faisant écho à ce chœur de voix, l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) tient à réitérer sa volonté de lutter, de concert avec les organisations syndicales et professionnelles du milieu journalistique ainsi qu’avec le grand public, pour un journalisme indépendant au sein d’une presse libre.

L’article premier de la Charte du journalisme de l’AJIQ définit l’importance primordiale que l’association accorde à la liberté de la presse : «La lutte pour la liberté de l’information est légitime. Toute entrave à l’accès aux sources d’information, à la recherche des faits, à la diffusion des événements et des opinions porte atteinte à la liberté de l’information. La restriction, les pressions ou menaces, qu’elles viennent de particuliers ou d’organismes, privés ou publics, doivent être combattues et dénoncées.»

Dans son Classement mondial de la liberté de la presse 2015, Reporters sans frontières constate une «dégradation générale» de la situation et déplore une «régression brutale pour la liberté de l’information». Les effets de cette régression globale se font sentir jusqu’au Canada, 8e pays sur 180 au classement 2015 (en hausse de 10 positions par rapport à 2014, mais en toujours en régression par rapport à la 5e position qu’il occupait en 2002).

Qu’il s’agisse de violences contre les journalistes lors de manifestations publiques (notamment de violences policières), du contrôle de l’information et du détournement des institutions démocratiques par les autorités gouvernementales ou encore du musèlement des voix dissidentes au nom de la sécurité nationale et de la lutte antiterroriste, la multiplication des atteintes à la liberté de la presse, et plus largement à la liberté d’expression, est un symptôme parmi d’autres du dangereux virage autoritaire qui s’opère à l’heure actuelle, tant à l’échelle locale, qu’à l’échelle nationale et internationale.

En effet, la liberté de la presse est un droit fondamental découlant de la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression et protégé en vertu de l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne au même titre que la liberté de conscience, que la liberté de réunion pacifique et que la liberté d’association. Ici comme ailleurs, on peut considérer l’érosion plus ou moins marquée de la liberté de presse comme un indicateur de la dégradation des droits et libertés.

Dans ce contexte, la lutte pour la liberté de l’information devient indissociable d’un combat historique pour la pleine reconnaissance et le respect entier des droits de la personne, tels qu’établis dans la Déclaration universelle de l’ONU du 10 décembre 1948. Rappelons que cette déclaration se présente comme étant «l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société […] s’efforcent, par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer, par des mesures progressives d’ordre national et international, la reconnaissance et l’application universelles et effectives».

En raison de leur rôle névralgique dans les sociétés contemporaines, les médias d’information devraient être des acteurs de premier plan dans cet effort de promotion et de défense des droits et libertés. Or, l’influence directe et indirecte exercée sur les médias par de puissants intérêts économiques et politiques contribue à accélérer l’érosion de la liberté de la presse et, de ce fait, à limiter la capacité des médias à agir comme un contre-pouvoir efficace face aux attaques menées par des gouvernements et par des entreprises privées contre l’intérêt public en général et contre les droits et libertés en particulier.

La crise de confiance du public envers les journalistes s’explique peut-être en partie par l’incapacité des médias à s’affranchir des conflits d’intérêts ou à éliminer les apparences de conflits d’intérêts qui, à tort ou à raison, minent l’indépendance et la crédibilité des journalistes aux yeux du public. Il ne suffit donc pas de lutter, en principe, contre les atteintes à la liberté de presse. Il faut surtout lutter, en pratique, pour l’essor d’une information indépendante et de qualité qui est au service de la délibération collective et du débat public.

En ce sens, cette semaine de célébration de la liberté de la presse est l’occasion pour le milieu journalistique de relancer un débat public sur la crise qui secoue actuellement le secteur de la presse écrite et des médias électroniques. Cette crise, soulignons-le, ne se résume pas à une crise financière et technique liée aux difficultés économiques et aux mutations technologiques dans le secteur des médias. Elle relève avant tout d’une crise institutionnelle remettant en cause le rôle des médias et du journalisme dans une société qui se veut libre et démocratique, mais qui l’est de moins en moins.

Simon Van Vliet, Président de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ)

[NDLR : L’auteur est également membre du comité de rédaction du journal Ensemble.]