CACOUNA —Alors même que 2500 personnes marchaient sur le port de Gros-Cacouna, samedi, pour réclamer l’arrêt définitif des travaux en vue de la construction du terminal pétrolier du projet Énergie-Est de TransCanada, une fuite de pétrole brut survenait aux installations de la raffinerie portuaire de Valero à Lévis, et un pétrolier destiné à l’exportation du pétrole des sables bitumineux croisait au large des Escoumins, en direction du port de Sorel-Tracy.

Au-delà du port pétrolier, c’est l’ensemble des projets pétroliers et particulièrement l’exportation du pétrole des sables bitumineux albertains que rejettent les 2500 manifestants et manifestantes (un nombre que les médias de masse ont coupé de moitié), dont une grande partie venait de la région. «2500 personnes à Cacouna, c’est comme 2 millions de personnes à Montréal», a illustré Yvan Roy, résident de Cacouna et rédacteur en chef du journal local Epik, qui suit activement le dossier.

Martine Ouellet, députée du PQ, est favorable à l’oléoduc d’Enbridge et opposée à celui de TransCanada. Le NPD est favorable à ce dernier dans l’Ouest, mais pas au Québec. Les manifestants sont opposés aux deux, aux trains et aux bateaux, et à Anticosti, bref: à tous les projets pétroliers.
Vidéo: Nicolas Falcimaigne

Le mouvement est organisé par des groupes citoyens, comme les autres manifestations qui ont eu lieu ce printemps à ce sujet. Cette fois-ci, de nombreux représentants politiques ont insisté pour s’adresser à la foule. Même des partis qui se sont prononcés en faveur du projet ou qui soutiennent d’autres projets pétroliers étaient présents.

Anticosti et Enbridge, «C’est différent», dit le PQ

Malgré le soutien de son parti à l’exportation du pétrole albertain vers l’est, François Lapointe, député néodémocrate de Montmagny-L’Islet-Kamouraska-Rivière-du-Loup, tente de représenter ses électeurs du Québec préoccupés par le projet. «On a déposé une motion précise sur le projet de port pétrolier pour rejeter la construction d’un port pétrolier ici à Cacouna.» De son côté, le président du Bloc Québécois, Mario Beaulieu, dénonce le «double discours» du NPD: «M. Mulcair, au Canadian Club à Toronto, a dit qu’il appuierait pleinement le projet d’oléoduc vers l’est.» Le Bloc est opposé au projet depuis ce printemps.

Quatre députés du Parti québécois (PQ) étaient présents sur place. Lorsque ce parti était au pouvoir, il a autorisé l’inversion de la ligne 9 d’Enbridge et subventionné l’exploration pétrolière sur Anticosti.

«Là, on est seulement le tuyau pour les ressources de l’Alberta. Dans le cas d’Anticosti, c’est l’exploitation, à tout le moins, où les retombées sont potentiellement plus importantes pour le Québec, nuance Pascal Bérubé, député péquiste de Matane-Matapédia. À savoir si son parti tient toujours à Anticosti, il affirme qu’il faudra«réviser cette position-là. L’élection s’est déroulée, on a à réviser tout ça. Le gouvernement a décidé d’aller de l’avant, on va voir comment ça va se passer. Lorsqu’il y aura l’arrivée d’un nouveau chef, ça va être certainement le moment, avec le congrès, de réévaluer tout ça. Il y a de nouvelles informations qui sont apparues depuis notre annonce quand on formait le gouvernement, donc ça vaut la peine de reconsidérer et de ne pas avoir de position définitive là-dessus.»

Encore en réflexion sur sa candidature à la direction du Parti québécois, Martine Ouellet, porte-parole en matière de transports, d’électrification des transports et de stratégie maritime, n’y voit pas de contradiction. «Le Parti québécois n’a jamais été pour le projet de TransCanada. [lire ici sa position de septembre 2013] Les deux projets de pipelines sont deux projets complètement différents. Enbridge, c’est de l’inversion, mais c’est aussi pour le marché québécois.»

Contre toute forme d’exportation du pétrole

L’une des quatre militantes qui se sont enchaînées aux grilles de la raffinerie Suncor à Montréal pour dénoncer la mise en service de l’autre projet d’oléoduc, la ligne 9 d’Enbridge, Alyssa Symons-Belanger, est venue exprimer qu’elle est farouchement«contre toute forme de transport des sables bitumineux à travers le Québec».

C’est un élu, le maire de Saint-Siméon et préfet de Charlevoix-Est, qui a soulevé la foule. «Vous n’êtes pas tannés de vous faire dire quoi faire par des gens, des financiers, qui sont à l’extrémité de la Terre? On se fait imposer des choses, en région comme au Québec, alors que normalement on sait exactement de quoi on a besoin nous autres même, a tonné Sylvain Tremblay. Vous êtes les gardiens de notre avenir, les gardiens de nos enfants, qui sont présents ici. On ne peut pas se laisser faire pour imposer des choses comme ça. C’est non.»

«On va juste forer pour voir si ça va éventuellement déranger les bélugas, a ironisé l’humoriste Christian Vanasse, s’adressant à la foule. Et si ça les dérange, et qu’ils s’en vont, et qu’ils ne reviennent pas, là on pourra forer sans les déranger.»

«Au Québec, on est en train comme le Canada de virer en État pétrolier, s’est inquiétée Kim Cornelissen, consultante en énergies renouvelables. Trois des caractéristiques des États pétroliers, c’est que le gouvernement ne nous représente plus, c’est que les programmes sociaux vont tomber (ce qu’on est en train de voir avec la fameuse politique d’austérité), et le troisième, c’est qu’il y a de moins en moins d’intérêt pour les énergies renouvelables. Et si vous regardez ce qui se passe dans l’actualité actuellement, c’est exactement ça. On est en train de virer en État pétrolier.»

«Nous avons un devoir d’être des gardiens du bien commun et de la protection de notre territoire», a martelé Martin Poirier, porte-parole de Non à une marée noire dans le Saint-Laurent. Il s’est dit «consterné de voir les positions que prend notre gouvernement», dénonçant que «le premier ministre Couillard, le lendemain du jugement [imposant l’arrêt des travaux], ose ajouter que les forages vont continuer à aller de l’avant, parce qu’on a besoin d’aller forer dans la pouponnière des bélugas pour réaliser une évaluation environnementale. Alors là, je dis: enlevons le titre de notre premier ministre et disons qu’il devient carrément un lobbyiste de TransCanada.»

La foule déferle sur le port de Cacouna. Photo: Nicolas Falcimaigne

«J’aimerais que les médias comprennent une chose aujourd’hui: la résistance ne s’organise plus. La résistance est organisée, a affirmé Simon Côté, porte-parole de la coalition Stop-Oléoduc. Sachez que maintenant, l’énergie des milliers de citoyens dans les centaines de groupes à travers la province va se concentrer de moins en moins dans l’organisation, et de plus en plus dans l’action directe.»

Poursuite des travaux

Les 2500 personnes réunies à Cacouna ont exigé l’arrêt définitif des travaux, même après la fin de l’injonction, le 15 octobre. Les opérations devant permettre de connaître le fond marin où poser les assises de la jetée de 750 mètres avaient commencé avec des levés sismiques de 220 décibels ce printemps, et se poursuivent cet automne sous la forme de sondages géotechniques.

Ces forages doivent se dérouler pendant 95 jours à raison de 5 heures par jour. Pour procéder, la compagnie doit s’assurer qu’aucun mammifère marin n’est dans la zone, une surveillance qui nécessite une mer calme et libre de glaces.

Tout déversement de pétrole aurait des conséquences importantes dans le Saint-Laurent, en raison des courants et de la glace, qui empêcheraient de limiter les dégâts. Le chargement prévu de deux à trois superpétroliers par semaine implique aussi le déversement systématique de 60000 tonnes d’eaux de ballast par navire.

La mobilisation populaire bloque jusqu’à maintenant les projets d’oléoduc Northern Gateway (Enbridge) vers le Pacifique et Keystone XL (TransCanada) vers le golfe du Mexique. La croissance de 200% à 300% souhaitée par l’industrie des sables bitumineux en Alberta repose donc actuellement sur la capacité d’exporter le pétrole à travers le Québec, par train, par bateau, et principalement par oléoduc.

Mikaël Rioux et Martin Poirier, organisateurs, à l’entrée du port de Gros-Cacouna. Photo: Nicolas Falcimaigne