TROIS-PISTOLES —Autochtones et non-autochtones uni-e-s pour défendre le territoire? C’est ce qu’indique la forte présence féministe et autochtone qui a marqué la dernière édition de l’Échofête de Trois-Pistoles. Le festival, qui tenait sa 11e édition, a mis à l’avant-scène la culture et l’engagement des Premières Nations en recrutant des porte-paroles issues du mouvement Idle No More. Tout juste revenues de la Marche de la guérison tenue à Fort McMurray, elles ont présenté leur vision de la lutte écologique contre les hydrocarbures sur le territoire québécois. Le journal Ensemble a rencontré les trois jeunes femmes, ainsi que Gabriel Nadeau-Dubois, qui partageait la scène avec elles.

Natasha Kanapé Fontaine, innue de Pessamit, Mélissa Mollen Dupuis, innue de Ekuanitshit et Widia Larivière de la nation algonquine sont trois jeunes femmes qui prennent part au mouvement Idle No More depuis ses débuts en décembre dernier. C’est ainsi qu’elles se présentent, spontanément, en nommant leur nation et leur communauté d’origine. «Le territoire aide à nous identifier, à saisir les subtilités de nos identités», explique Mélissa Mollen Dupuis. Toutes trois métis, elles incarnent ce rapprochement entre autochtones et non-autochtones. «On a les mêmes luttes mais on est dans deux canots différents, remarque la co-instigatrice du mouvement au Québec. C’est un peu comme le wampum à deux rangs, qui représente une alliance faite entre autochtones et non-autochtones. Ce qui me dérange dans ce traité-là, c’est qu’il y a encore une ligne qui sépare les deux. C’est le mur de verre.»

 

Les militantes ont confié leur vision du rapprochement entre les peuples que peut apporter la lutte contre les hydrocarbures.
Vidéo: Nicolas Falcimaigne

Leur engagement dans le mouvement est justement motivé par le désir d’ouvrir la voie à un nouveau dialogue entre les différentes nations, en posant un regard conscient sur la façon d’habiter le territoire et d’être solidaires dans les luttes qui interpellent les populations à travers le pays. «Souvent le message qu’on entend, c’est: On veut se battre avec vous mais on ne vous connaît pas, explique Widia Larivière. Ça fait 400 ans qu’on cohabite. La plupart des Québécois que je rencontre ne connaissent pas les onze nations au Québec. Ils pensent que les autochtones sont un groupe homogène. Il y a encore beaucoup de méconnaissance au sujet des peuples autochtones.»

Pour Mélissa Mollen Dupuis, il n’est pas anodin que l’Échofête ait nommé des porte-parole autochtones. «Recevoir l’honneur d’être porte-paroles d’un festival, qui n’est pas un  festival autochtone, un événement organisé par des Québécois qui ont pensé à mettre de l’avant des femmes, et en plus des femmes autochtones, je trouve que ça envoie un message symbolique et important de ce qui est possible dans l’avenir. Ici on rencontre des nouvelles personnes qui ont les mêmes luttes que nous mais qui ne partagent le même milieu de vie que nous.»

Natasha Kanapé Fontaine, qui a choisi le slam comme médium afin de porter son message, se montre enthousiaste: «L’histoire a été marqué par toutes sortes de choses comme la crise d’Oka. Maintenant, 23 ans plus tard, Idle No More est une occasion de repartir sur d’autres piliers, de nouveaux piliers de dialogue, de partage, de dons…»

En juillet, Mmes Larivière et Mollen Dupuis ont joint une délégation québécoise en Alberta pour une visite du site d’exploitation des sables bitumineux. Elles en sont revenues marquées, mais déterminées à mener une lutte contre les projets d’oléoduc qui traverseront le Québec afin d’acheminer le pétrole albertain. Selon Widia Larivière, c’est l’occasion de parler d’une même voix: «Les enjeux environnementaux, c’est une façon de travailler ensemble. L’accès à l’eau potable, ça touche vraiment tout le monde.»

Gabriel Nadeau-Dubois a pris la parole lors de la conférence d’Idle No More. Les militants autochtones et non-autochtones feront-ils front commun contre les hydrocarbures?
Vidéo: Nicolas Falcimaigne

Fortes de l’intensité et de l’effervescence d’Idle No More à l’hiver dernier, les trois jeunes femmes soutiennent que le mouvement est toujours très fort malgré son effacement dans les  grands médias. Elles sont plus que jamais à l’œuvre au sein des communautés en tant qu’artiste ou conférencières. «On crée des relations et on travaille avec des organismes non-autochtones. On apprend beaucoup. C’est beaucoup plus que de marcher ensemble une fois par année. On apprend à se connaître et à travailler ensemble.»

La place des femmes dans les luttes autochtones n’est toutefois pas nouvelle, nous rappelle Widia Larivière: «Dans les années 70, elles se sont mobilisées et ont créé des associations de femmes afin de mener des luttes juridiques pour abolir les discriminations de la Loi sur les Indiens, soutient-elle. Durant la crise d’Oka, Ellen Gabriel a été désignée comme négociatrice. Les femmes autochtones ont toujours eu un rôle important dans le militantisme».

La présence majoritaire des femmes sur le front des récents blocus de la route 138 sur la Côte-Nord est le témoignage de leur volonté de participer aux luttes environnementales qui touchent leur territoire. «En fait, ce n’est pas seulement de prendre le pouvoir en tant que femmes, explique Mélissa Mollen Dupuis. Les aînées disent que c’est l’fun que les femmes re-prennent leur position. Dans l’histoire des Premières Nations, les femmes ont toujours eu un rôle hyper important. C’est d’ailleurs pourquoi la Loi sur les Indiens a imposé un patriarcat aussi lourd et drastique. Ça l’a modifié la relation homme/femme. On reprend maintenant une place».

Natasha abonde dans le même sens: «Pour l’avenir des Premières Nations, c’est un revirement nécessaire. Pour nous, dans un processus de guérison, dans la perte de la culture, de notre mémoire du territoire, la femme qui donne la vie peut redonner vie au peuple et au territoire.»

«Le combat n’est pas fini tant que le cœur des femmes n’est pas tombé par terre», dit un dicton autochtone, cité par ces jeunes femmes. À voir leur enthousiasme, la lutte a de beaux jours devant elle.