Bon nombre d’organisations présentes au Forum social mondial de Montréal étaient déjà à l’œuvre sur le terrain bien avant que le terme « altermondialisme » ne fasse son apparition dans notre vocabulaire. C’est le cas notamment de Solidarité Laurentides Amérique centrale, communément appelé SLAM. Fondé au tournant des années 80, l’organisme a d’abord œuvré au Nicaragua, avant de déplacer son action vers le Guatemala.

Cette soif d’entraide internationale est née au sein d’un petit groupe d’enseignants du Cégep de Saint-Jérôme, situé à une demi-heure de Montréal, relate Marcel Gosselin, co-fondateur et ex-enseignant en philosophie. « Nous avions établi un contact avec Henri Coursol, prêtre pour les missions étrangères. Il supportait ouvertement la révolution sandiniste qui a permis de chasser du pouvoir la famille Somoza en 1979. À l’époque, on avait des brigades de travail sur place mais avec la dictature militaire, c’était dangereux!»

Une décennie plus tard, SLAM commence à soutenir divers projet au Guatemala. En 1992, l’organisme appuie la candidature de la militante Rigoberta Menchu qui à 33 ans, est devenue la plus jeune lauréate du prix Nobel de la paix. Cette année-là, un membre du groupe a passé trois mois sur place afin d’aider des Guatémaltèques à récupérer leurs terres ou en acquérir de nouvelles. « Ils étaient constamment intimidés par l’armée, confie M. Gosselin. Jean-Claude (Lauzon) a tellement été marqué par son expérience qu’on ne l’a pas reconnu quand on est allé le chercher à l’aéroport. Il avait fondu!» La guerre civile a frappé de 1960 à 1996. Le bilan du génocide est fracassant : 400 villages détruits, 200 000 morts, 40 000 disparus. Plus de 83 % des victimes étaient des Mayas. Bien qu’il fasse office de petit joueur, SLAM a participé à un regroupement d’organismes québécois engagés à soutenir le pays tels Développement et Paix, Solidarité Union Coopération et le Centre international de solidarité ouvrière.

Entre paix et survivance

À l’aube de l’an 2000, le groupe jérômien réussit à obtenir une reconnaissance de l’Agence canadienne en développement international lui permettant pour une première fois l’embauche d’un employé. « Avant, tout se faisait à l’huile de bras », illustre M. Gosselin. Dès lors, l’organisme élargit son réseau d’action et devient le fer de lance du commerce équitable dans les Laurentides. À travers conférences, stages et soirées d’information, un dialogue nord-sud de plus en plus consistant prend forme. Saint-Jérôme devient le théâtre d’assemblées solidaires et d’échanges hors du commun. Des représentants locaux d’Amnistie internationale participent de temps à autres aux débats et la population est appelée à témoigner sa solidarité de diverses manières.

En 1996, des stagiaires de SLAM rencontrent Leocadio Juracan, militant guatémaltèque et coordonnateur du Comité Paysan de l’Altiplano (CCDA), organisation autochtone destinée à défendre les droits des travailleurs. Dix ans plus tard, l’organisme entreprendra les démarches nécessaires pour que le Café Justicia se rende jusqu’à nos cuisines. Depuis 2010, la collaboration avec le CCDA s’est solidement renforcée, entre autres grâce à l’appui du ministère des Relations internationales et de la francophonie.

Aujourd’hui, le CCDA est présent dans 20 départements guatémaltèques sur 22, explique M. Juracan, ce qui permet de soutenir le travail de 100 000 familles. Mais le défi à relever demeure énorme, d’expliquer M. Juracan. Au cours des dernières années, le taux de pauvreté au Guatemala est passé de 51 % à 70 %, entre autres à cause du chômage endémique et des changements climatiques. À ses yeux, la collaboration de SLAM est inestimable. Des grains de café torréfiés à Montréal par le Sentropol et distribués dans un réseau de plus en plus large aux projets de pisciculture, de plus en plus de Jérômiens sont sensibilisés à la réalité des peuples du Sud. Au cours des dernières années, SLAM offre des chèvres aux familles dans le besoin. Le lait précieux de l’animal nourrit les enfants et grâce à l’accouplement, les paysans peuvent peu à peu viser l’autosuffisance alimentaire.

Du champ au Congrès

En septembre dernier, Leocadio Juracan a transposé sa lutte au parlement guatémaltèque. L’ancien ouvrier a été élu au sein du parti Convergence pour la révolution démocratique (CRD), formé en 2014 de l’union d’une vingtaine d’organisations politiques et sociales, aux côtés de deux autres députés. De passage au Québec pour participer entre autres au Forum des parlementaires du FSM ainsi qu’à des ateliers portant sur les mines, le commerce équitable et les droits humains, M. Juracan  s’est dit heureux de pouvoir renouer avec ses précieux collègues de SLAM. « Il faut que les gens comprennent que l’on fait face à un seul modèle, dit le député en substance. Un modèle d’extractivisme et de destruction systématique de nos ressources. Il est important de réfléchir ensemble à la question des changements climatiques. La coopération entre les différents mouvements sociaux est plus nécessaire que jamais. De mon côté en tant que député, je vais continuer à mettre de l’avant les méthodes de culture biologique pour tenter de revenir à un certain équilibre. J’ai introduit un projet de loi pour protéger l’eau et j’ai demandé un moratoire de cinq ans sur les projets miniers. Il faut stopper les multinationales qui avec leurs pesticides, détruisent les champs et la santé de nos paysans. C’est possible de faire de l’agriculture raisonnée. On le fait tous les jours! Mais ce n’est pas un modèle à grande échelle avec des monocultures. » Petit à petit, le CCDA arrive à bonifier les façons de faire des paysans si bien qu’aujourd’hui, certains d’entre eux arrivent non seulement à nourrir leur famille, mais peuvent dégager quelques surplus de légumes et d’herbes qu’ils écoulent sur les marchés locaux. On entend même développer le tourisme équitable.

Par ailleurs, la situation demeure extrêmement troublante au Guatemala. « On n’a pas pu faire le stage qu’on voulait cette année parce que c’était trop dangereux pour notre sécurité, explique Claude Deschênes. Il y a eu un meurtre à une demi-heure du village où on étaient attendus. » Les volontaires ont finalement pu rencontrer des représentants de communautés environnantes afin qu’ils traitent de leur réalité. « Je me sens une responsabilité incroyable, poursuit M. Deschênes. Quand on leur a demandé ce dont ils avaient le plus besoin, ils ont répondu : « d’un avocat! », mais ils crèvent de faim! »

Leocadio Juracan demeure malgré tout optimiste. « Les projets exemplaires de SLAM prouvent qu’une transformation est possible. On peut arriver à délaisser la pauvreté extrême pour atteindre un meilleur niveau de vie et c’est ce à quoi nous travaillons jour après jour tout en continuant à défendre les droits humains. »