La grisaille de Dame Nature était à l’image de l’humeur des 30 000 étudiants québécois descendus dans les rues de Montréal pour s’opposer à la hausse des frais de scolarité prévue dès 2012. Jeudi, la manifestation nationale a pris d’assaut les artères allant du parc Émilie-Gamelin au  bureau du Premier ministre Charest, en face de l’Université McGill. « Le 10 novembre 2011, vous pourrez dire que vous y étiez », lance le président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), Léo Bureau-Blouin.

Certains avancent du bout des lèvres 50 000, d’autres annoncent 12 000, 20 000 manifestants. Sous la pluie, les bottes imbibées et tenant les pancartes ruisselantes, ils ont fait front commun avec des membres de la coalition des quelque 130 groupes communautaires qui ont dénoncé le dégel en début de semaine.

« On est 50 000 dans les rues de Montréal pour dire oui à l’éducation, oui à nos jeunes, oui à notre avenir et non aux tarifs », s’enflamme Amir Khadir, député de Québec Solidaire (QS), dans la rue avec les étudiants. « Ils font déjà leur part à travers leur famille, à travers l’impôt. Si on laisse les grandes entreprises, les minières, les pharmaceutiques, les pétrolières, les banques s’en tirer avec nos richesses, nous n’aurons pas ce qu’il faut pour payer pour notre éducation. » Il va même jusqu’à demander la gratuité scolaire de la maternelle à l’université.

Ces milliers d’étudiants venus de Gaspé à Rouyn-Noranda s’opposent à une augmentation des droits de scolarité de 75 % en cinq ans. Ils devront sortir de leurs poches 325 $ de plus par année. Un baccalauréat coûtera en 2017 entre 4700 $ et 5000 $.

M. Khadir n’était pas le seul député présent. Une dizaine de députés du Parti Québécois (PQ) était du défilé. La porte-parole du PQ en matière d’enseignement supérieur, Marie Malavoy, soutient que les étudiants ont absolument raison de vouloir combattre cette hausse « faramineuse » des frais de scolarité. « On rattrape 43 ans de frais de scolarité en 5 ans ». Elle et son parti espèrent que l’événement fera réfléchir le gouvernement libéral.

Vers la grève illimitée ?

Cette grève d’une journée ouvre la voie au projet de grève illimitée dès la session prochaine. « Depuis plus d’un an et demi, nous répétons manifestation après manifestation, pour bloquer la hausse des frais, nous lançons un dernier avertissement au gouvernement », lance le porte-parole de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ), Arnaud Theurillat-Cloutier.

« Ça ne touche plus seulement les étudiants, ça touche toute la population au Québec qui est tannée de voir les moins nantis et la classe moyenne payer encore », clame la présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), Martine Desjardins. Elle érafle au passage l’investissement du gouvernement libéral de centaines de millions de dollars dans l’Îlot Voyageur, ce projet de résidences étudiantes et de bureaux au centre-ville. D’abord financé par l’UQAM, l’Îlot devait remédier au manque d’espace de l’université. Aujourd’hui, l’édifice, toujours en construction, appartient à l’État. En 2008, le gouvernement du Québec injectait 200 millions de dollars afin de relever la dette encaissée par l’UQAM dans ce bâtiment.

Pour les générations futures

Rue Sherbrooke, des bambins derrière les fenêtres de leur garderie regardent et saluent la parade trempée en compagnie de leurs éducatrices. « C’est pour vous qu’on est dans la rue », scandent certains manifestants en levant leur chapeau aux jeunes universitaires de demain.

Sur le pavé, les étudiants faisaient du coude à coude avec des citoyens venus les appuyer. François, père de famille et membre de Québec Solidaire, pense que c’est une question de justice : « J’ai une petite fille de 14 mois, j’aimerais qu’elle puisse étudier comme moi, mais si les frais doublent et triplent, je ne suis pas certain qu’elle aura la même opportunité ». Lyse Cloutier, présidente de l’R des Centres des femmes du Québec, soutient que l’éducation devrait être accessible à tous, peu importe le statut et la classe sociale : « C’est pour l’avenir de nos enfants ».

Pour une rare fois, les associations étudiantes nationales ont joint leurs forces afin de mobiliser le plus d’étudiants possible. L’ASSÉ, la FECQ, la FEUQ et la Table de concertation étudiante du Québec (TACEQ) étaient les organisateurs de ce rassemblement, vu comme le plus grand depuis 2005 contre les coupures de 103 millions $. « Nous apprenons le sens de la solidarité », résume Arnaud Theurillat-Cloutier, porte-parole de l’ASSÉ.