La Cour d’appel de Bruxelles a confirmé, le 5 mai dernier, le jugement intervenu en première instance en 2007, qui condamnait les pratiques de reproduction illégales en matière de droit d’auteur, de parties significatives d’articles de presse sur Google Actualités Belgique. Cette victoire de la presse doit beaucoup à la Société coopérative à responsabilité limitée Les Journaux Francophones Belges (JFB).

Le Soir, important quotidien bruxellois, est membre de la coopérative. Son directeur général, Didier Hamman, voit dans le jugement une importante victoire collective. « Nous avons fait école dans l’ensemble du monde », s’exclame-t-il, avant d’ajouter que la protection des sources est un autre front sur lequel s’exerce la vigilance de la coopérative.

« Notre action a contribué au vote de la loi sur le secret des sources de 2005 qui est une des plus protectrices des droits des journalistes, renchérit Catherine Anciaux, juriste chez JFB. Nous avons pu, à différentes reprises, arrêter des projets de loi ou d’autres mesures dont les effets auraient pu être dramatiques pour le secteur. L’action menée contre Google a permis la reconnaissance officielle, à deux reprises déjà, des droits des éditeurs de presse sur leurs contenus et l’obligation d’une autorisation préalable avant l’utilisation de ceux-ci par des tiers. »

Lobbyisme et éducation

Ensemble, les éditeurs ont un plus grand pouvoir de représentation et de lobbyisme. Ils peuvent également mettre en œuvre des projets d’éducation : « C’est extrêmement important ce que nous avons développé à la JFB, en terme d’apprentissage de la presse dans les écoles. Ça c’est une chose dont nous sommes très très fiers », souligne le directeur du Soir. Le grand groupe de presse privé auquel il appartient voit dans la s.c.r.l. JFB « une façon de se fédérer pour avoir une voix au niveau des États ».

Si l’Association belge des éditeurs de journaux (ABEJ) regroupait depuis 1964 les éditeurs de tout le pays, c’est la décision des journaux flamands (néerlandophones) de fonder leur propre coopérative, en 1999, qui a poussé les journaux francophones de Wallonie et de Bruxelles à créer une nouvelle coopérative, précise Mme Anciaux. La question linguistique et nationale s’est polarisée en Belgique depuis quelques années. L’impasse politique, qui prive le pays d’un gouvernement depuis plus d’un an, se reflète dans les pages du Soir, dont l’orientation franco-fédéraliste est bien connue.

Défis à venir

Au nombre des enjeux sur lesquels la coopérative doit se pencher à l’avenir, M. Hamann cite la sensibilisation à la lecture, la concurrence des médias électroniques et publics, les enjeux de distribution, la fiscalité de la presse et le financement public. Il précise que la captation du marché publicitaire par l’État à la télé et sur le web devrait être remise en question. « C’est comme si vous étiez boulanger et que demain, l’État venait ouvrir une boulangerie à côté de chez vous ».

Didier Hamann, directeur général du quotidien bruxellois <em>Le Soir</em>, voit dans le jugement une importante victoire collective.

Didier Hamann, directeur général du quotidien bruxellois Le Soir, voit dans le jugement une importante victoire collective.
Photo: A.Dulude

Sans hésiter, le directeur du quotidien bruxellois compare la transition technologique que subissent actuellement les médias à la difficile reconversion de l’économie qui a suivi l’effondrement de la sidérurgie, au XXe siècle, et qui a fait l’objet d’imposants plans de relance. Selon lui, la coopérative pourra donner un rapport de force au secteur de l’information pour obtenir l’aide de l’État. Par exemple, il serait nécessaire d’adapter la fiscalité : si le papier n’est pas taxable en Belgique, son équivalent web est soumis à une ponction de 21 %.

Un géant de la presse

Le Groupe Rossel déclare des revenus d’environ 500 millions d’euros par année et emploie 3 500 collaborateurs directs. Avec une centaine de filiales et une diffusion quotidienne de plus d’un million de journaux à 3,5 millions de lecteurs, il est le plus important groupe de presse belge. Son vaisseau amiral, Le Soir, tire à 95 000 exemplaires et rejoint près de 500 000 lecteurs.

Cet empire, né lors de la création du Soir en 1887, est comparable à ceux qui publient les grands quotidiens du Québec. Il affiche dans ses communications les valeurs d’indépendance éditoriale et de dynamique entrepreneuriale. En clair, le conglomérat affirme conjuguer les avantages de la concentration économique et une très forte indépendance de la rédaction.