Le 11 novembre à 11 heures 11, une centaine de personnes a répondu à l’appel du collectif Échec à la guerre à participer à une vigile silencieuse, célébrant la mémoire de toutes les victimes de la guerre. Les personnes rassemblées au coin des rues McGill College et Sherbrooke à Montréal entendaient marquer leur opposition aux guerres actuelles et affirmer leur volonté d’en finir avec le fléau de la guerre. De l’autre côté de la rue, quelques centaines de personnes assistaient à la cérémonie officielle du Jour du Souvenir qui se déroulait sur les terrains de l’Université McGill.

La commémoration du jour du souvenir a une résonance particulière cette année, en raison du centenaire de la première guerre mondiale (1914-1918). On se souviendra que l’Armistice du 11 novembre 1918 consacrait la «défaite totale» de l’Allemagne et la victoire des Alliés, mais on oublie bien souvent de souligner que le traité de Versailles, résultat des conférences de paix de Paris tenues en 1919, a largement contribué à mettre en place les conditions géopolitiques et socio-historiques ayant mené à la seconde guerre mondiale, vingt ans plus tard.

La guerre ne fait pas que des héros, elle fait surtout des victimes

«Si l’objectif de la guerre est la paix, et bien, la guerre est un échec», lance, un sourire dans la voix, la comédienne Geneviève Rochette, co-porte-parole de la quatrième campagne du coquelicot blanc qui vise à donner un autre sens à la commémoration du 11 novembre.

«Pour moi, le coquelicot blanc, ça représente le souvenir de tous les civils qui écopent de la guerre: qui sont tués, qui sont violés, qui sont martyrisés, qui sont bombardés et qui sont massacrés», explique l’autre co-porte-parole de la campagne d’Échec à la guerre, l’auteur et scénariste François Avard, keffieh palestinien enroulé autour du cou. «Le rouge c’est pour les militaires, évidemment, mais le blanc c’est pour tous les autres, et ils sont beaucoup plus nombreux.»

Selon une étude publiée en juin dernier dans l’American Journal of Public Health, les civils comptent en effet pour 85% à 90% des victimes de guerre. Cette triste tendance semble se confirmer dans les conflits récents, notamment en Israël-Palestine, en Afghanistan, en Irak ou en Syrie.

Coquelicot rouge, coquelicot blanc

Le coquelicot rouge est le symbole officiel du Souvenir depuis 1921. À l’approche du 11 novembre de chaque année, «des millions de Canadiens et de Canadiennes portent l’emblème rouge vif afin de se souvenir et d’honorer les milliers de leurs compatriotes qui sont morts à la guerre», indique le Musée canadien de la guerre sur son site Internet.

Cette fleur est abondante dans les champs de Flandre, en Belgique, où le sang d’innombrables soldats s’est mêlé à la terre durant les nombreux conflits qui ont déchiré l’Europe au fil des siècles.

En 1933, le coquelicot blanc a été adopté comme symbole d’une commémoration alternative de l’Armistice de 1918. C’est la Co-operative Women’s Guild (CWG), une association féministe et coopératiste fondée en 1883 en Grande-Bretagne, qui a lancé ce mouvement, dans la foulée de campagnes radicalement antimilitaristes, entamées des années auparavant.

Cent ans de luttes anti-militaristes

Dès avril 1914, soit plusieurs mois avant le déclenchement de la grande guerre, le Congrès international des femmes de la Haye avait résolu que «la terrible méthode de la guerre ne devrait plus jamais être utilisée pour régler les conflits entre les nations » et avait appelé à ce qu’un «partenariat des nations, dont l’objectif soit la paix, soit établi et administré suivant la volonté du peuple».

En 1921, le congrès de la CWG appelait déjà à la fin de la «compétition provocatrice à l’armement» , à la «révision des Traités de Paix», à «expurger la politique et l’éducation du militarisme sous toutes ses formes», à «abolir la force comme solution aux désordres sociaux» et à «éliminer le profit privé du système industriel».

L’écrivain et co-fondateur des Éditions Écosociété, Serge Mongeau, rencontré alors qu’il distribuait des coquelicots blancs à la vigile d’Échec à la guerre, fait écho à cette analyse radicalement anticapitaliste. Il dénonce fermement les guerres contemporaines, notamment celles dans lesquelles le Canada est impliqué, comme la guerre en Afghanistan: «On sait fort bien que ces guerres là sont [faites] non pas pour des intérêts locaux, mais pour les intérêts des multinationales de nos pays.»

Il réfute les arguments militaristes de certains passants qui glorifient la seconde guerre mondiale, en affirmant que cette guerre nous a sauvé du fascisme nazi. «Pour moi, c’est clair qu’on ne peut glorifier aucune guerre», tranche Serge Mongeau.

À la voix du militant écologiste et pacifiste se mêlait le son de la cornemuse provenant de la cérémonie officielle en cours sur le terrain de McGill. Notons qu’alors même qu’elle s’offrait cette année encore pour héberger les cérémonies officielles du Souvenir sur son campus à Montréal, l’université est impliquée dans la recherche en technologies de pointe aux usages militaires, comme le rapportait au printemps dernier une enquête du magazine indépendant The Dominion, disponible en ligne sur le site web de la Media Coop.

«Vous aurez probablement remarqué qu’aujourd’hui les canons n’ont pas retenti lors de la cérémonie», soulignait Martine Éloi, militante du collectif Échec à la guerre, dans un bref discours prononcé au terme de la vigile silencieuse. «Les canons se sont tus et on espère que c’est un signe qu’ils se tairont définitivement un jour.»