Aux yeux de Béatrice Vaugrante, directrice générale de la section francophone d’Amnistie internationale au Canada depuis 2006 et lauréate parmi 40 personnalités couronnées à l’occasion du quarantième anniversaire de la Charte québécoise des droits et libertés, il n’y a qu’une façon d’améliorer le sort des humains de la planète : agir! Et ça peut se traduire par un geste aussi simple que celui de prendre un crayon et de signer une carte de vœux.

Aujourd’hui 10 décembre, Journée internationale des droits de l’homme. En 1948 à pareille date était signée la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont le premier article, célèbre depuis des décennies par son message pacifiste et unificateur, stipule que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. »

Soixante-huit ans plus tard, force est de constater qu’on n’a pas à atteindre le 30e point du document pour comprendre à quel point ses principes sont bafoués jour après jour.

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Crédit photo: World Corporal Punishment Research

« Dans le monde, les alertes continuent sur des crises qui n’en finissent plus, indique Mme Vaugrante. Il y a 20 millions de réfugiés de guerre dans le monde, les pays sont en conflit ouvert, les violences importantes en Syrie, en Asie du Sud est, au Soudan, au Salvador, au Mexique également. L’Afghanistan n’est pas plus sécuritaire aujourd’hui malgré que nous soyons venus les sauver. Le pays est abandonné et demeure sans leadership. »

 

Noël en prison pour Raif

Chez nous, le cas du blogueur Raif Badawi, emprisonné en Arabie saoudite pour s’être exprimé sur la Toile et débattre de la liberté de religion dans le pays, a eu beaucoup d’écho. Sa femme et ses trois enfants étant réfugiés dans la région de Sherbrooke, les appuis sont nombreux afin de réclamer sa libération. Tout au plus aurons-nous réussi à faire cesser les séances de flagellation. Celles-ci pourraient toutefois reprendre à tout moment.

Le fondateur du site Internet  Free Saudi Liberals demeure emprisonné depuis quatre ans. Sa sœur Samar a toutefois été libérée en janvier. Récipiendaire en 2012 d’un prix de l’International Women of Courage Awards, elle livre une bataille en faveur de l’égalité des femmes dans son pays.

Des rumeurs faisant état d’une possible libération de M. Badawi – que tous prénomment affectueusement « Raif » – ont circulé depuis l’année dernière, mais rien de cela n’est avéré. La sentence, confirmée en juin 2015 est sans appel : 10 ans de prison et 100 coups de fouets.

« Il y a eu beaucoup de travail au Canada mais ça ne fait pas bouger les choses, précise Béatrice Vaugrante. Une nouvelle pétition circule afin que le Premier ministre Trudeau se prononce pour exiger sa libération. Le gouvernement du Québec continue à être très actif. Entre autres, on lui a accordé un certificat de citoyenneté, mais il faut continuer de faire pression sur les autorités saoudiennes et les chefs d’états occidentaux. » L’an dernier, l’objecteur de conscience a obtenu le Prix Sakharov, qui récompense des défenseurs des droits de l’Homme.

« Ne lâchez jamais la pression, implore Mme Vaugrante. Il faut en parler à nos députés fédéraux et demander des comptes. Il faut faire connaître le bilan dévastateur de ce pays. L’Arabie saoudite ne souhaite qu’une chose : que Raif disparaisse des écrans radars. »

Le boycott, une arme à deux tranchants

Alors que d’autres mouvements de par le monde n’hésitent pas à faire appel au boycott pour tenter d’obtenir justice, la directrice générale de la section francophone d’Amnistie internationale au Canada émet de sérieuses réserves quant à ce moyen d’action.

« Bien souvent, le boycott va nuire encore davantage aux populations locales, qui n’arrivent plus à s’approvisionner en médicaments et produits de première nécessité et ce n’est pas ce qu’on souhaite. Par contre, il faut cesser les doubles discours. Il faut fustiger l’Iran et la Corée du Nord, demander des comptes à l’Arabie saoudite, qui souhaite maintenir des relations internationales. Ce discours feutré qu’on veut très prudent ne donne pas de résultat. On le voit, la situation empire : il y a un nombre record d’exécutions. Ces gens agissent en totale impunité. »

Marathon d’écriture de cartes de voeux

Fondé en 1961, Amnistie internationale rejoint plus de 7 000 000 de membres et sympathisants répartis dans 150 pays dans le monde. Au Canada francophone, on compte 15 000 membres, 100 000 sympathisants et de 200 à 250 groupes écoles, présents également dans les cégeps et les universités. Ces derniers s’engagent de façon ponctuelle ou régulière à signer des pétitions et à encourager monétairement le regroupement. L’organisme ne bénéficie d’aucune subvention.

20161210_145753Chaque année autour du 10 décembre, le Marathon d’écriture constitue une incontournable fête chez Amnistie internationale. Des milliers de cartes sont alors préparées et signées afin d’être expédiées un peu partout dans les prisons de la planète. Un geste simple mais combien puissant et réconfortant pour ceux et celles qui les reçoivent.

Au total, 76 % des gens ont été libérés grâce à la campagne de carte de voeux. Il s’agit de la plus grande chaîne de lettres de solidarité au monde. Au Canada, les marathons se poursuivront jusqu’au 18 décembre. Soixante-dix d’entre eux ont lieu au Québec. Parmi les 10 personnes à recevoir des cartes cette année, on compte l’Américain Edward Snowden, confiné à l’exil de par ses révélations dévastatrices sur la surveillance de masse, et la jeune Annie Alfred, 10 ans. Originaire du Malawi, la fillette est constamment pourchassée du fait qu’elle est albinos. Les gens croient qu’elle est un fantôme. On veut voler ses cheveux ou pire, ses os. L’an dernier, on a signalé 45 cas de meurtre ou d’enlèvement, ou de tentative de meurtre ou d’enlèvement d’albinos dans le pays.

« Que chaque personne pose un geste et ça va changer, déclare avec conviction Béatrice Vaugrante. Il faut prendre position. Si on ne peut pas se déplacer pour assister à un marathon d’écriture, on peut toujours signer des pétitions électroniques. »

Entre 2000 et 2016, pas moins de 120 personnes ont été libérées sur les 158 cas de droits civils et politiques ayant reçu des lettres.