En 2001, Alban d’Amours, président du Mouvement Desjardins, a entamé des discussions avec le gouvernement du Québec en vue d’améliorer le financement des régions. Au-delà des entreprises locales, le milieu coopératif était dans sa mire. C’est alors qu’est née la filiale Capital régional et coopératif Desjardins (CRCD), qui célèbre cette année son quinzième anniversaire. Ensemble profite de la Semaine de la coopération pour en tracer le portrait avec un de ses dirigeants.

« C’était très visionnaire que de penser de lever de l’argent destiné aux régions et aux coops à travers le réseau des caisses, lance Luc Ménard, chef d’exploitation chez CRCD. Nos actionnaires sont en grande majorité des membres, mais tout le monde peut acheter des actions. »

Au début, CRDC dégageait 150 millions par an, en bonne partie grâce au crédit d’impôts rattaché au programme. « Aujourd’hui, nous avons 100 000 actionnaires et une capitalisation de 1 650 000 000 $ », indique M. Ménard. Sur les 412 entreprises en portefeuille, on compte 35 coopératives. Pourquoi? « Un, le produit est mal connu. Deux, quand les gens commencent à creuser, ils reculent », explique le spécialiste.

Freins législatifs

Luc Ménard admet qu’au point de vue administratif, la tâche est ardue pour qui veut se lancer dans pareille aventure. « Il y a un certain nombre de critères contraignants pour les coopératives de travailleurs actionnaires (CTA). Annuellement, il y a des montants d’argent qu’elles peuvent garder en réserve pour payer leurs honoraires, mais elles ne peuvent pas dépasser une certaine capitalisation. Après X nombre d’années, c’est comme si elles n’avaient plus d’argent et qu’elles devaient être vendues. On veut l’inverse. Dans un monde idéal, une CTA deviendrait 100 % propriétaire. »

M. Ménard rêve d’un véhicule flexible qui permette le partage de richesses, précisément dans un contexte où le Québec fait face à des enjeux de transferts d’entreprises. « Il y a un problème et les statistiques le prouvent. Il y a peu de création de coopératives de travailleurs actionnaires même c’est une façon formidable de mobiliser l’ensemble des employés d’une même entreprise. Il faut asseoir les bonnes personnes autour de la table et créer un véhicule qui va permettre d’améliorer la qualité de vie des gens dans leur communauté. »

Le chef d’exploitation de CRDC reprend les mots clés de Guy Cormier, nouveau président et chef de la direction du Mouvement Desjardins, pour illustrer les qualités de ce véhicule idéal: simple, humain, moderne et performant.

Des représentations ont été faites auprès du gouvernement du Québec pour assouplir les règles mais alors qu’on réfléchit à modifier la Loi sur les coopératives, des opportunités nous glisse des mains. Cela dit, le modèle ne convient pas à tous, précise M. Ménard. « Il faut que les hauts dirigeants soient prédisposés à permettre un certain partage de la richesse mais je pense que les nouvelles générations le sont de plus en plus. Au-delà du dollar, le sentiment d’appartenance lié aux coopératives n’est pas assez mis en évidence

Appuis pour petits et gros joueurs

Parmi les projets qui ont bénéficié du soutien de CRDC, notons l’entreprise privée Filgo et la coop Sonic, qui ont décidé de s’associer pour éviter d’être avalées par les grandes pétrolières. En 1956, Filgo était pionnier dans la distribution d’huile à chauffage à Sainte-Marie-de-Beauce. Aujourd’hui, Filgo figure parmi les plus importants distributeurs de produits Shell à l’est du Canada.

Lancée en 1958 pour fournir du pétrole aux cultivateurs québécois, Sonic constitue la branche énergétique de la Coop fédérée. Regroupant 103 coopératives et un réseau de 185 stations-service, l’entreprise peut désormais se vanter d’être le plus important distributeur régional d’énergie au Québec.

À plus petite échelle, on compte le Central Café de Rimouski, coopérative de travailleurs créée en juin 2015. En restauration, c’est plutôt rare. « Pour moi, c’est un exemple concret de prise en charge du milieu », se félicite M. Ménard. La coopérative de solidarité regroupe 15 travailleurs. Plus de la moitié d’entre eux compte plus d’une dizaine d’années d’expérience. Enthousiastes, les membres de la coop ont vu leurs bénéfices augmenter depuis l’année dernière. « Maintenant qu’on est propriétaires, on a des yeux partout et on est plus ouverts à s’engager dans la communauté », explique Steeve Boucher, chef cuisinier. Mais la transition a nécessité du travail de la part de tout un chacun. « Apprendre à lire des bilans, ce n’est pas comme des recettes ».

Soif d’entreprendre

Ils sont nombreux à vouloir se lancer en affaires, du jeune enthousiaste entreprenant au cinquantenaire qui veut changer de carrière. Par ailleurs, beaucoup de coopératives se portent acquéreur d’entreprises privées et cela, au bénéfice de leurs membres. « Pour moi, les coopératives demeurent une belle perspective. J’aimerais que ce message-là soit bien compris pour en faire un succès dans le futur. »

À Drummondville, la famille Lemaire détenait l’entreprise Fempro, qui fabriquait des serviettes hygiéniques. La fondatrice, Sylvie Lemaire – fille de Bernard Lemaire de Cascades- souhaitait relayer la compagnie à ses employés. Quand elle a vu que Desjardins était en mesure d’acheter l’entreprise, elle a refusé de conclure une transaction avec des joueurs étrangers. Les employés ont acquis 10 % du capital-actions de la compagnie et les dirigeants ont injecté une somme de leur poche. « Une fois le niveau d’endettement de la société enlevé, les employés auraient pu racheter les parts pour permettre un transfert d’entreprise purement québécois », illustre M. Ménard. Finalement, quelques années plus tard, un entrepreneur québécois a repris l’affaire, laissant aux coopérants un bon profit sur leur investissement.

Selon une étude de maîtrise en gestion des organisations élaborée en 2013 par Jean-Thomas Henderson, 83 % des entrepreneurs et membres de la direction à l’origine d’une coopérative de travailleurs actionnaires seraient enclin à refaire l’exercice. Diffusion de l’information, pérennité à long terme, fierté, sentiment d’appartenance, consultation auprès des employés, motivation, ambiance de travail, rétention du personnel et compétitivité de l’entreprise, voilà autant d’impacts positifs notés à la suite de leur implantation.

D’ici 2030, le Mouvement coopératif mondial souhaite représenter deux milliards de membres, quatre millions d’entreprises et 20 % de l’économie de la planète. Une volonté identifiée par les participants du Sommet international des coopératives, tenu à Québec la semaine dernière.