La colonie coopérative de Guyenne : un modèle inadéquat ? Dans la foulée des grandes entreprises de colonisation lancées par Duplessis après la deuxième Guerre mondiale, le village de Guyenne, près d’Amos, devait jeter les bases d’un nouveau type de colonie axée sur la coopération et la gestion durable des forêts. Ce même gouvernement retira pourtant son appui à une entreprise de coopération, qui avait fait ses preuves. Malgré cela, Guyenne et ses habitants se tiennent encore fièrement debout aujourd’hui.

Un modèle méconnu

Dans les années quarante, le ministère de la Colonisation et les autorités cléricales qui le commandent favorisent le développement des terres abitibiennes. Commence alors l’implantation de colons venus des grandes villes dans l’espoir de se sortir enfin de la crise économique en se dotant d’une autonomie financière dont l’agriculture formerait la base.

Dans l’ensemble des villages alors fondés, le canton de Guyenne présente une particularité qui assurera mieux qu’ailleurs le bien-être de ses citoyens, comme l’explique Robert Laplante, directeur général de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) et auteur du livre L’expérience de Guyenne. « Dans la promotion et la revendication de la colonisation, il y avait de véritables aspirations à l’émancipation économique. L’objectif était d’utiliser la colonisation pour changer la donne économique pour l’ensemble de la classe rurale et, par ricochet, pour l’ensemble des Québécois. On a voulu systématiser et faire une doctrine de cette entraide et cette doctrine, on l’a conceptualisée dans le modèle de colonisation en coopération qui a été réalisé et mis en œuvre dans la paroisse coopérative de Guyenne. »

L’expérience pilote de Guyenne voit donc le jour à l’été 1947, avec pour objectifs de gérer efficacement les ressources collectives tout en facilitant l’établissement individuel. Dès les débuts, la coopérative s’appuie principalement sur la saine gestion des ressources forestières collectives. Le capital obtenu grâce à l’exploitation des lots communs permet ensuite le financement individuel des familles pour faciliter l’établissement ainsi que l’acquisition de matériel agricole ou de bétail. Pendant quinze ans, cette gestion collective des ressources permet aux gens de Guyenne de retrouver un équilibre financier beaucoup plus difficilement acquis dans d’autres colonies : « Les colons, dans la plupart des colonies, étaient soit privés du bois de leur lot parce qu’on les avait pillés avant qu’ils arrivent, soit encore étaient contraints par la pauvreté à le surexploiter pour trouver une pitance pour satisfaire les nécessités les plus urgentes », explique M. Laplante.

Yolande Desharnais, pionnière de Guyenne, parle de l’expérience de cette colonie coopérative, dans le nord-est de l’Abitibi-Témiscamingue.

Le modèle coopératif exigeait toutefois un engagement à long terme de la part de ses membres et le respect de certaines conditions. Non seulement les futurs citoyens de Guyenne devaient signer un contrat de 10 ans envers la coopérative, mais ils devaient également souscrire à un plan d’épargne obligatoire de 50 % de leurs revenus afin de financer leur établissement. Ainsi, la coopérative s’assurait à la fois de recruter des gens sérieux, mais de voir à son développement à long terme.

C’est à partir des années 1960 que le rêve de Guyenne devient utopie. Utopie d’un monde qui va à l’encontre des choix gouvernementaux qui privilégient l’investissement des capitaux étrangers au détriment des communautés locales. L’Union nationale met alors fin unilatéralement à l’entente qui permettait aux colons de Guyenne l’exploitation forestière de leurs lots collectifs. Comme en témoignent les films de Pierre Perreault, l’Abitibi était alors entièrement remise en question par le ministère et ses agronomes, qui voyaient en elle une erreur historique et prévoyaient la fermeture de plusieurs paroisses, dont celle de Guyenne.

En 1972, la petite scierie, qui assurait l’autonomie du village quant à l’exploitation forestière tout en permettant à ses colons de compléter leur année de travail (l’hiver étant réservé à la coupe du bois et la période estivale à l’agriculture), se voit fermée par le gouvernement. Commencent alors des années de misère pour les citoyens de la coopérative : « Dans les années 80, beaucoup de familles ont eu peur et sont parties. Comme c’était des familles très nombreuses, la population a vite baissé et l’école a été menacée. C’est avec un projet local qu’on a réussi à garder l’école ouverte, mais on payait nous-mêmes le transport, les professeurs et l’entretien de l’école », relate Yolande Desharnais, pionnière de Guyenne.

Redressement de la coopérative

C’est lorsque le ministère de l’Énergie et des Ressources lance un appel d’offre pour la production, en serres, de plants d’arbres destinés au reboisement, que les coopérateurs de Guyenne reprennent espoir. La construction des serres et l’acquisition de ce nouveau mandat par le gouvernement assure dès lors la relance économique du village.

Aujourd’hui, les Serres de Guyenne constituent l’une des cinq plus grandes superficies serricoles du Québec. L’entreprise, qui emploie maintenant plus de cent personnes sur une base régulière, a diversifié sa production et cultive désormais des fleurs et des tomates vendues dans toute la province.