La consommation mondiale de cacao s’élève à plus de 95 kilos la seconde. Malgré cette donnée impressionnante, les producteurs restent sur leur faim.

De fait, les 800 000 petits cultivateurs qui nourrissent l’industrie en Côte d’Ivoire devraient gagner 16 fois plus pour atteindre le seuil de pauvreté. Les multinationales du chocolat promettent un cacao 100 % équitable ou durable d’ici 2020, mais il faudra encore beaucoup d’efforts avant de savourer cette victoire. En attendant, les exploitants locaux reçoivent 5 à 7 % du prix final de la tablette.

Septembre 2015, Nestlé, Hershey’s et Mars étaient visés par trois plaintes collectives pour traite et travail forcé de mineurs dans des cultures de cacao en Côte d’Ivoire, filière qui exploite 1,2 million d’enfants dans le pays.

Les enfants à l’oeuvre dans les plantations demeurent les principales victimes d’un système qui s’apparente à de l’esclavage moderne. En 2014, le marché du chocolat pesait entre 80 et 100 milliards de dollars. Des recettes partagées par une poignée de multinationales, dont celles en litige.

Dans ce contexte, les actions de la Cocoa life, de la fondation International Cocoa Initiative (ICI), de la World Cocoa Foundation et autres organismes du genre, pourraient bien être de la poudre (de cacao) aux yeux visant à donner bonne conscience à une industrie qui se gave dans le profit depuis des décennies. Même la Fair Labor Association (FLA) – mise sur pied en 1999 – peine à l’ouvrage. À preuve, les enfants continuent plus que jamais à être exploités dans les plantations. Le Tulane University a constaté une hausse de 21 % depuis 2008-2009 d’enfants esclaves du marché du cacao.

Un chocolat moins amer

Chez nous, le chocolat équitable Camino, ou chemin, en espagnol, a fait son apparition sur nos tablettes grâce à la coopérative de travail La Siembra (l’équivalent de semailles en français), basée dans la région d’Ottawa-Gatineau. Fondée en 1999 par trois jeunes humanistes exaspérés des conditions de vie des paysans à l’étranger, la coop établie dans la région d’Ottawa-Gatineau constitue une pionnière en Amérique du Nord en ce qui a trait à l’importation de cacao et de sucre biologiques et équitables. De nombreuses reconnaissances lui ont été attribuées depuis sa création.

La coop La Siembra transige avec plus d’une vingtaine de coopératives qui soutiennent autour de 40 000 producteurs paysans issus de 11 pays, dont la République dominicaine, le Costa Rica, le Guatemala, le Sri Lanka et Madagascar.

« Nos petits producteurs qui conduisaient des charrettes à bœuf sont devenus des entrepreneurs », illustre Martin Van den Borre, directeur de la production et de l’approvisionnement. Ces derniers ont affirmé qu’autrefois, ils étaient traités comme « des sous-humains ». Aujourd’hui, le fait de pouvoir s’organiser en coopératives leur donne un pouvoir de négociation sans précédent.

Plus de 70 % des achats et près de 50 % des ventes de La Siembra sont réalisées par le biais de relations commerciales fondées sur la coopération. Les tablettes de chocolat Camino sont certifiées biologiques par QAI, équitables par Fairtrade Canada et cacher, en plus d’être garanties sans gluten. Outre la vente au détail, l’entreprise fournit beaucoup de chocolatiers au Canada.

La débrouillardise au menu

Les premières recettes furent élaborées dans la cuisine communautaire de l’Église unie First United. La petite équipe a lancé le chocolat chaud en guise de premier produit. Le tout était emballé au sous-sol et la livraison se faisait à bicyclette.

Comme aucune certification n’avait encore été mise sur pied en Amérique du Nord pour les produits à base de cacao, les coopérateurs ont adopté les règles de la Fairtrade Foundation. Désormais, la certification est assurée par Fairtrade Canada. La Siembra vend sucre, cassonade, café et chocolat sous diverses formes, y compris en lapins de Pâques!

Aujourd’hui, la coopérative distribue ses produits à travers le Canada par le biais de 2500 points de vente, dont 400 situés au Québec. Onze personnes y travaillent et plus de 60 emplois indirects y sont reliés. Fait à noter, la direction générale est occupée par un homme et une femme. Des 100 000 $ de chiffre d’affaires annuel à ses débuts, la coopérative atteint maintenant les 8 M $ par année. Et l’entreprise est en croissance constante.

« Depuis la première heure, la Siembra est composée de militants qui ont appris le métier sur le tas », explique Martin Van den Borre. Arrivé comme membre travailleur en 2005, M. Van den Borre souligne qu’au moment de la création de la coop, le café équitable existait déjà mais il y a avait tout un travail d’éducation à faire pour promouvoir le commerce équitable. Au niveau du sucre, une véritable révolution s’est enclenchée. « L’industrie était basée sur l’esclavage », indique-t-il.

La demande explose

Premier producteur mondial à la fin du 19e siècle, l’Amérique latine, d’où le cacaoyer tire son origine, se classe désormais derrière l’Afrique de l’Ouest et l’Asie.

En 2009, plus du cinquième du cacao produit dans le monde était destiné à l’Amérique du Nord. Fairtrade estime que la vente de cacao issu du commerce équitable a augmenté de 35 % au cours de cette même année. En Côte d’Ivoire quasiment 13 % de la surface de la forêt d’origine ont été rasés pour satisfaire la production de chocolat.

Martin Van den Borre estime que la paysannerie n’est pas suffisamment supportée. « On vient renforcer les vieux modèles coloniaux. » Au Pérou, la coopérative et partenaire Norandino, a toutefois réussi à imposer sa vision, bien que le gouvernement soit plus enclin à répondre aux exigences des grandes entreprises. Entre 1997 et 2006, ses membres ont multiplié leurs revenus par 2,5, ce qui a permis de scolariser davantage d’enfants. « Ce qui est innovant, explique M. Van den Borre, c’est qu’ils ont lancé une nouvelle certification pour les petits producteurs. » Soulignons que 90% du chocolat équitable vendu est également bio.

Même si cette filière a connu un bel essor au cours des dernières années, les défis demeurent nombreux, tant au niveau environnemental, économique, que social. Selon une étude livrée en 2014, la demande en cacao augmentera de 30 % au cours des dix prochaines années, principalement en raison de la croissance de la demande asiatique et de celle de l’Europe de l’Est.

« Acheter équitable, c’est supporter un modèle économique qui favorise le partage des richesses et la gestion écologique des ressources et des communautés. »

Pour nous réconforter cet hiver, La Siembra s’est associée à la coopérative Citadelle afin d’élaborer un chocolat chaud au sirop d’érable. Se sucrer le bec, oui, mais pas à n’importe quel prix!