Ce que nous donnent à lire les médias de masse cette semaine, sept décennies après le premier bombardement atomique d’Hiroshima, fait encore une large place à la propagande de l’époque: le président américain aurait épargné la vie de centaines de milliers de soldats américains, face au refus du Japon de capituler. Si toutes ces justifications ne sont pas nécessairement fausses, on sait depuis l’ouverture des archives en 1995 qu’elles n’ont pas pesé lourd dans la balance en regard de l’occasion unique pour les USA de démontrer leur force de frappe nucléaire, à l’aube de la Guerre Froide.

Nombreuses sont les sources qui permettent de démonter la version officielle encore véhiculée par de grands médias américains. Il suffit pourtant de consulter le tout aussi officiel rapport de la Central Intelligence Agency (CIA), signé par Douglas J. MacEachin en décembre 1998, pour connaître le fond de l’histoire.

C’est à la Conférence de Potsdam sur la fin de la guerre, le 16 juillet 1945, que le président Truman a été informé de la réussite du premier essai nucléaire au Nouveau Mexique. Dans l’entourage du président, cette information ne représentait toutefois qu’une formalité. «À toutes fins utiles, la décision d’utiliser l’arme nucléaire contre le Japon avait déjà été prise au moment où le président est arrivé à Potsdam», précise le rapport de la CIA.

Les discussions entre Truman et ses proches conseillers portaient alors sur la possibilité de disposer de l’arme avant que l’URSS entre formellement en guerre contre le Japon, le choix de la première cible, le contenu de ce qui deviendrait la Déclaration de Potsdam et celui du discours présidentiel qui devait suivre le premier bombardement. «Il n’existe toutefois dans ces discussions aucune référence explicite au développement de la défense japonaise comme étant un facteur, et aucune indication que cette menace ait influencé les actions entreprises.»

La décision était donc déjà prise lorsque, le 26 juillet 1945, les Alliés ont lancé un ultimatum aux dirigeants japonais: le Japon était sommé de capituler sans condition, avant que ne s’abatte sur lui «une puissance infiniment plus grande que celle qui a dévasté l’Allemagne». Plusieurs termes ont été ajoutés à la déclaration, imposant la condamnation des criminels de guerre, l’occupation militaire, le paiement de réparations, le démembrement de l’Empire nippon et le désarmement complet.

Dans la déclaration de Potsdam, rien n’a été spécifié sur le sort de l’Empereur, malgré le fait que les Alliés aient été depuis longtemps au courant de l’importance de l’Empereur pour le Japon. Selon certains, comme le Secrétaire de la guerre Henry L. Stimson, le fait d’introduire une clause garantissant au moins implicitement la conservation de l’Empereur aurait entraîné une capitulation plus rapide du Japon, qui aurait épargné non seulement la vie des soldats américains mais aussi celle des civils japonais. M. Stimson avait d’ailleurs fait cette proposition, qui n’a pas été retenue.

Dans son discours du 9 août 1945, le Président Harry S. Truman justifia l’utilisation de la bombe atomique par la nécessité de venger Pearl Harbor, le traitement des prisonniers de guerre et la violation des «lois internationales de la guerre», ainsi que par l’urgence de terminer la guerre pour la survie des soldats américains. Dans les faits, Truman venait plutôt d’avancer sa première pièce sur l’échiquier de la Guerre Froide, en fauchant des centaines de milliers de vies civiles.