La vieille dame avait l’air dur et fermé. Mais ce n’était pas tant la dureté du cœur que celle de la vie et de l’horizon bouché qui lui fermait le visage. Ses mains noueuses déformées par l’arthrite avaient ce petit tremblement qui trahit l’agitation du cœur.

À tout petits pas, avec une canne pour seul appui, elle avançait vers un banc public dans le parc situé au bord de la rivière Gilao, à Tavira, au Portugal. Comme tous les autres ce jour-là,  le sien brillait au soleil. Un chaud soleil de printemps du sud de l’Europe. Un cadeau de lumière.

Des fleurs. Des fleurs partout. Des odeurs de jasmin et d’oranger. Une brise tiède. Elle avait choisi mon assise préférée.

Ni rouge, ni impeccablement propre comme tous ses congénères, ce vieux banc usé d’un bleu délavé était couvert de graffitis si vivants que les poissons dessinés sur ses lattes de bois semblaient se préparer pour se précipiter à l’eau d’une minute à l’autre.

Une fois sa canne accrochée au dossier, sa robe noire bien lissée sur ses genoux osseux, la grand-mère – à l’expression du regard qu’elle jetait aux enfants qui jouaient tout près, c’en était une à n’en pas douter – soupira profondément, se croisa les mains sur les cuisses comme on fait une prière, puis laissa son regard se perdre dans le grand bleu qui pointait à l’horizon.

Ce matin-là, en buvant l’un de ces cafés parfumés dont les Portugais ont le secret, j’avais de peine et de misère, réussi à déchiffrer les manchettes du journal local du jour : Trente ans pour « amortir » le prêt de la banque mondiale au Portugal.

Le tout à un prix douloureusement élevé pour ce peuple qui depuis deux ans, se voit couper pensions de vieillesse, soins de santé et autres services maintenant considérés comme un luxe pour les pauvres.

Une fois de plus, je ne pus que constater à quel point la rapacité est universelle et adopte partout le même langage hypocrite.

Comment oser parler d’utilisateur-payeur quand les mêmes besoins existent pour tous, mais qu’il en est tout autrement des moyens?

L’autre manchette du jour acheva de me troubler. Il semble en effet que, depuis les mesures d’austérité mises en place au pays, la population aux prises avec des problèmes de santé mentale ou de troubles nerveux a augmenté de 30 % en un an.

Assise au parc rouge en face de cette fragile vieillarde au bout de ses jours, je me suis surprise à lui souhaiter de partir vite, en paix, entourée de ses enfants, avant que la situation ne dégénère au point de devenir intenable. Comme si elle avait lu dans mes pensées, elle se leva péniblement et m’adressa en passant un petit salut si charmant qu’il me rendit au doux printemps qui berce le village dans sa brise parfumée.

Quelques pas plus loin, allongé sur le banc rouge établi plus près de la rivière, un itinérant obèse souriait aux anges dans son sommeil, avec à ses pieds ses seules possessions dans un sac de plastique.