Quel projet de société pour demain? Poser la question, lors d’une conférence internationale des coopératives, c’est y répondre. Faire de la formule coopérative le modèle économique principal au XXI siècle, voilà un projet de société bien emballant, partagé par tout le Mouvement coopératif. Or, pour s’imposer, ce projet devra rejoindre le grand public, ce qui implique l’existence d’un média d’information dédié à la cause.

C’est pourquoi l’équipe qui a publié Ensemble pour demain, le quotidien de la Conférence internationale, en septembre dernier, a décidé de poursuivre l’aventure et de créer un journal grand public qui portera à l’attention de tous les réussites coopératives et les défis de société auxquels répond la coopération. Sans le savoir, nous avons ainsi marché dans les traces de la revue Ensemble! des années 1940 et du journal du même nom, publié pendant les années 1970.

Demain commence aujourd’hui

Bien de son temps, comme l’indique son nom de pré-lancement, le journal Ensemble sera avant tout un journal d’information continue en ligne, avec des contenus multimédia et rédactionnels provenant de partout au Québec et même de l’éxtérieur. Une équipe de correspondants tout horizon a été constituée pour assurer une présence dans toutes les régions et dans tous les secteurs, parce que la coopération n’a pas de frontières.

Sans frontières territoriales ou sectorielles, la coopération traverse même les siècles sans une ride. Pour le constater, nous proposons ici un voyage dans le temps. Saluons nos ancêtres du Conseil Supérieur de la Coopération, l’éditeur Georges-Henri Lévesque et son équipe, en republiant ici même l’éditorial de la revue Ensemble! de janvier 1944, auquel nous intégrons la capsule vidéo réalisée pendant la Conférence internationale. Il est étonnant de constater la cohérence de l’ensemble.

Étapes (Ensemble! – Vol. V, No 1 – Janvier 1944, p. 2)

Ensemble! entre dans sa cinquième année. Née du besoin de servir les coopérateurs, notre revue n’a cessé de répondre à ce besoin vivant de coopération et pour la coopération. Avec les années, sa tâche augmente. Aussi, rêve-t-elle plus grand, plus large, convoitant d’abord la bonne fortune d’atteindre un plus grand nombre de coopérateurs. Que voulez-vous ? c’est sa raison d’être, sa vocation de servir, de vous servir tous, vous apportant encouragements et enseignements.

Sa vie, c’est la vôtre, celle-là même du mouvement coopératif. Elle enrégistre vos réalisations, vos réussites, à l’occasion vos insuccès; elle exprime cos souhaits, vos ambitions, vos projets; elle parle de vous et pour vous. Vous êtes plus de 200,000 coopérateurs. Songez à l’extraordinaire influence qu’exercerait votre revue, si elle vous atteignait tous et si elle exprimait votre pensée collective, votre vouloir commun. Pourquoi donc cela ne serait-il pas possible ? Et quand cela ne le serait qu’à demi, vous seriez certains d’être entendus, d’être écoutés, sans supplier personne, sans forcer qui que ce soit, sans vous imposer. Une vérité bien exprimée, bien servie, se défend d’elle-même, se répand d’elle-même, passe dans la vie. La vérité du coopératisme passera-t-elle dans votre vie canadienne-française ? Deviendra-t-elle la vérité de notre vie sociale et économique ? Coopérateurs d’aujourd’hui, ne portons-nous pas la responsabilité de cette réponse ?

Quel est votre projet de société pour demain? C’est la question que nous avons posée à quelques participants et participantes au hasard, lors de la Conférence internationale de septembre 2010:

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Le mouvement coopératif devrait-il se mobiliser davantage pour le développement durable ? Comment concilier les enjeux du développement local auxquels répondent les coopératives et des enjeux plus globaux comme le développement durable ?

Nous faisons sans doute figure de pionniers, en ce vingtième siècle et dans un monde où ne compte que la grande entreprise. Notre œuvre peut sembler à plusieurs une toute petite affaire. Acceptons spontanément qu’elle n’est que cela et que nous sommes encore que des pionniers. Il n’importe, si le chemin à parcourir reste illimité devant nous. Le matérialisme économique ne s’est pas implanté du jour au lendemain. Le communisme sorti du cerveau de Karl Marx, il y a déjà un siècle, n’a guère encore trouvé sa dernière expression. On ne saurait dire que le zèle manqua à leurs protagonistes et défenseurs. La coopération a pu évoluer encore plus lentement, mais aussi plus normalement, plus sûrement. Et voici que l’année 1944 peut être considérée comme l’année centenaire du mouvement coopératif moderne.

C’est en 1844, en effet, dans la ville de Rochdale, que 28 « pauvres diables », voulant sortir de leur misère et se libérer d’un joug économique trop lourd, mirent en marche une première réalisation coopérative. Ils décidèrent d’ouvrir d’abord un magasin, payant à même leur salaire leur première part dans cette association par un versement de 0.02 la semaine. DÉbut modeste, apparemment ridicule. Mais l’organisation se développa, progressa, devint une grosse affaire, en suscita d’autres en Angleterre et ailleurs, à ce point qu’elle-même fait maintenant un chiffre d’affaires de $10,000,000. à $15,000,000. par année et qu’il y a de par le monde 143,000,000 de coopérateurs, disséminés dans 102 pays. Résultat extraordinaire que n’entrevoyaient sans doute pas totalement les pionniers de Rochdale, mais qui demeure à leur honneur, puisqu’ils donnèrent à notre monde moderne l’exemple d’une première réalisation coopérative.

La revue ENSEMBLE ! commémorera ce centenaire par un numéro spécial consacré à l’expérience de Rochdale. Car il y a là un fait d’histoire et surtout une grande leçon. C’est merveille, certes, qu’un groupe de pauvres gens se soient associés, en appliquant les principes de la coopération, et qu’ils aient mis sur pied une œuvre durable et progressive, mais ce qui dépasse cela, ce qui précède cela et le commande, c’est l’idéal coopératif, l’idée de la coopération s’avérant aux yeux de tous comme un principe solide de relèvement et d’organisation économique.

Notre monde de 1944 beaucoup plus que celui de 1844 a un pressant besoin de ce principe. L’expérience de Rochdale aura donné de tels résultats qu’aujourd’hui ce ne sont plus seulement les gens du peuple qui regardent la coopération comme le meilleur moyen de se protéger économiquement et socialement, mais les chefs de pays, les dirigeants, tous les techniciens de la reconstruction d’après-guerre qui visent au relèvement économique du peuple plutôt qu’au sauvetage des grandes fortunes. Qu’on réalise à ce sujet la résolution XVII, concernant la coopération, de la conférence des Nations Unies, sur les Vivres et l’Agriculture, qui a eu lieu à Hot Springs, l’été dernier. (Cf. ENSEMBLE ! Août-septembre 1943). L’idéal coopératif, celui des pionniers de Rochdale et le vôtre, coopérateurs canadiens-français, gagne donc rapidement en extension. Ses chances d’application se multiplieront au lendemain de la présente guerre. Idéal démocratique par excellence. Parce qu’il grandit partout ailleurs, c’est notre devoir de le mieux poursuivre et d’en généraliser l’application chez-nous. La revue ENSEMBLE ! sera à la tâche avec vous et pour vous.

LA DIRECTION